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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE LE PRINTEMPS XIV

Dernière mise à jour : 25 mars


En poussant la porte, je me souviens m’être promis intérieurement de ne plus mettre les pieds dans cet endroit snob. Le casus belli était un minimum pour payer en carte bleue fixé à 10 euros et qui m’avait envoyée au diable Vauvert pour trouver du liquide dans un froid de gueuse, justement. Le quartier dégouline de fric et paradoxalement, en retirer n’est pas chose facile. Quant aux serveurs, ils cumulaient une suffisance déplacée avec une incompétence flagrante, aucun d’eux n’étant en mesure, après avoir refusé ma carte sans le moindre semblant de gêne, de m’indiquer le distributeur le plus proche, semblables ainsi à de petits dieux lares tout puissants dans l’enceinte de leur établissement, nuls au dehors. Je ne dois pas être la seule exaspérée par leur difficulté de trésorerie puisqu’à présent, l’information est affichée sur la porte d’entrée : pas de carte en dessous de 10 euros.

Ce désagrément n’est pas de ceux qui font renoncer à un lieu aimé, mais ce lieu, je ne l’ai jamais aimé. Il a toujours été un pis-aller, compensant mal la perte de deux autres refuges d’importance au temps où je n’habitais plus Paris, ni sa banlieue. Le premier, situé près du Louvre, existe encore, mais la faune y est si changée, l’adresse a tellement gagné en popularité que je n’y vais plus. En des temps très anciens, j’avais même une adresse mail, secrète estampillée du nom de l’établissement… Peut-être ne suis-je plus assez joueuse pour croire à mes poses en dandy… L’autre établissement était situé à deux pas de celui dont je pousse la porte à contrecœur. Rien de bien terrible, mais rien de bien réjouissant non plus, ce qui est une désolation pour qui a grandi dans un bistrot et s’est habituée à se sentir accueillie et fortunée du simple fait d’entrer au café. À chacun ses églises.

Je n’arrive plus à retrouver le nom de ce deuxième lieu, objet de mes regrets, j’ai encore une photo de moi, sous une étagère de livre dans une petite niche verte de son deuxième étage qui donnait sur la Tour Saint-Jacques. Je me souviens du fou rire d’un proche qui la pensait toujours en travaux, en réalisant qu’il avait pris les gargouilles pour des étais. Je pourrais lui demander le nom de ce minuscule salon de thé, il n’oublie jamais rien. Sur la photo, j’ai les cheveux plus courts, elle date donc d’une dizaine d’années : les gens font ça quand ils changent de vie, ils se coupent les cheveux. J’ai un beau manteau rouge et l’air assez malin. Le renfoncement, dans lequel je me tiens, est surplombé d’une étagère de livres.

Et voilà la raison profonde de mon aversion pour le Café Livres de la rue Saint-Martin : je ne crois pas à sa bibliothèque. Avec le temps, bien sûr, on finit par y trouver un polar en anglais abandonné par une consciencieuse touriste américaine, mais pour l’essentiel, c’est du chiqué. Beaucoup trop de Guy des Cars et de Harlequin pour être honnête. Dans ma jeunesse, j’ai un jour quitté un homme qui m’a suppliée de laisser une partie de mes livres en partant, sans quoi, devant ses étagères quasiment vides, ses nouvelles conquêtes risquaient de se faire une pauvre opinion de lui… On peut dire que rien ne va dans cette phrase, dans cette proposition, mais comme rien n’allait non plus dans notre situation, ce n’est que de juste.

Entrant au Café Livres, me reviennent les vers de Desnos (je veux toujours qu’ils soient d’Apollinaire, mais non) :

Je n’aime plus la rue Saint-Martin

Depuis qu’André Platard l’a quittée.

C’est mon ami, c’est mon copain.

Moi, aussi, j’ai perdu un copain en route, celui qui croyait dur comme fer en Paris, et m’avait embarquée dans sa représentation… Le rideau est tombé, les livres sont achetés au poids et je paie en liquide. Pourtant, après une heure passée là, en bonne compagnie, je suis repartie avec un petit volume d’

ENQUETES POLICIERES

  • Leslie Charteris

  • Françoise Sagan

  • Ben Hecht

  • Patricia Highsmith, etc.

Dans un encadré à l’avant dernière page, on peut lire :

CE LIVRE, OFFERT PAR SKIP, FAIT PARTIE D’UNE SERIE DE SIX RE- CUEILS « ENQUETES POLICIERES » NUMEROTES DE 1 A 6. IL A ÉTÉ EDITE PAR
            « PRET-PUBLICITE »
AVEC DES NOUVELLES POLICIE- RES EXTRAITES DE LA REVUE MENSUELLE             « MYSTERE MAGAZINE »

Et ainsi, le Paysan de Paris a une fois encore trouvé un passage jusqu’à moi.



François Bon avait travaillé un temps sur une sorte d'autobiographie en bistrot (le titre est de moi, pas de lui). Il a abandonné en cours de route des rades en raison du côté trop « autobio » de l’affaire. En écrivant l’histoire au Café Livres, je me dis qu’elle vient parfaitement à la suite de cette problématique du retour à un journal privé que j’évoquais dans le dernier numéro d’ ÉCRIRE L’HIVER. Autant pour le côté privé puisque voilà l’affaire en ligne… Je réalise que je cherche un entre-deux. J’ai écrit beaucoup de fiction l’année passée et j’en vois la trace dans le Journal d’un Mot An [IV] à paraître. Un retour à une forme de chronique, objet cher, s’annonce. Ce mouvement de va-et-vient me permet de trouver une place plus juste quant à l’autobiographie. Voilà un moment que mes souvenirs sont une matière comme une autre pour enseigner. Ils sont tous mêlés de ce que j’ai lu, entendu, croisé, vu… Dans cette mesure, ils ne sont que moyennement miens. C’est assez flagrant dans l’histoire au Café Livres : elle appartient pour une part à cet ami disparu et ainsi, il est flagrant que ce que j’en dis n’est que parcelle, bribe. Il la raconterait tout autrement et cet autrement est constitutif, en son absence, de ce que j’en écris moi-même. J’essaie de dire qu’une forme de pudeur est tombée, qui n’a plus lieu d’être quand se modifie la relation au passé, quand s’acte la nature profondément fictionnelle de nos souvenirs.

Je voudrais enregistrer les archives de ce journal, faire l’audio… Ce serait encore une fois un geste dont je serai la première et peut-être unique bénéficiaire (le rayonnement des Doses Audio n’est pas vraiment mirobolant… ce qui me laisse les coudées franches). Cette archive est déjà imposante (ô joie de l’accumulation du moindre). Elle m’échappe (qu’est-ce qu’il pouvait bien y avoir à dire dans ÉCRIRE LE PRINTEMPS I, hein ?). Je sens qu’il me serait bénéfique de repasser par ces instantanés d’écriture, de retrouver, au fond de la boîte, ce petit tournevis si pratique, dont j’ai oublié jusqu’à l’existence même… bref, en changeant de média, d’inventer le beurre à couper le fil, comme dirait Jeanne.


Je constate que les entrées du Carnet des jours suivants, compilées par centaines, font à peu près toujours la même durée à la lecture (52 min). Je suis à la moitié du carnet en cours (454e entrée hier) et le temps de lecture indiqué par Wix est de 27 min. Cet aspect de ma constance me fascine. Je me demande parfois si je n'écris pas uniquement pour remettre de l'ordre.


Dès que le temps me sera donné (regard mouillé vers les vacances de Pâques), je compte prendre note précisément du travail de finalisation d’Alice chut ! Première partie du Triptyque Sauveterre dont une version périmée est accessible sur ce site. En attendant, je signale ici un texte de mon amie Simone Wambeke qui m’a beaucoup aidée dans cette dernière phase de rédaction (le texte, mais aussi, pour des raisons qui lui échappent, l’amie) : Vous devez.. Simone et Brigitte Célérier, la célèbre blogueuse de Paumée, sont des sources d’inspirations constantes pour le personnage d’Alice. Notamment en ce qu’elles ne se laissent pas faire et qu’on ne la leur fait pas. Bref, des clairvoyantes. Et drôles, avec ça.

Écrire l'été
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