ÉCRIRE L’ÉTÉ XXIX
- Emmanuelle Cordoliani
- il y a 5 jours
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Une impression domine cette dernière langueur du mois d’août, domine comme la grande ombre salutaire d’un charme : je n’ai pas été là de l’été. Ou plus exactement : je n’ai pas été en été, dans le sens où d’autres sont en Grèce ou en famille. Je n’ai certes rien fait d’extraordinaire, mais soyons juste, je ne fais jamais rien d’extraordinaire l’été. Je n’escalade pas de sommets, je ne visite pas lointaines contrées exotiques, je ne me retire dans un monastère mystérieux, je ne chasse pas de trésors… Je mens : je fais toutes ces choses et bien d’autres encore qui n’ont rien d’ordinaire, mais d’une façon tellement intime qu’elle n’autorise aucune soirée diapos entre amis à la rentrée.
L’été, dans sa forme idéale, consiste à rester à la maison, à jouir quotidiennement de la beauté changeante du jardin et des progrès d’amitié avec les merles qui en sont les véritables propriétaires, à faire du vélo sur les pistes plates qui longent les canaux franco-belges et à écrire plus amplement, on l’aura compris. C’est ce que je fais l’été, tant bien que mal, car on n’est jamais garanti contre les fâcheux et la grêle. Ainsi, bien que les étés se suivent et ne se ressemblent pas (et sont sans retour et on ne s’assied pas deux fois au bord du même fleuve pour voir passer le corps de son ennemi), force m’est de constater qu’ils ont eu pour moi, pendant des années, une couleur, un ton en commun, suffisamment présent pour que je puisse aujourd’hui en noter l’absence.
L’impression pleine de charme qui prévaut à cette heure dit bien que l’été était devenu un lieu précis où je me rendais, et auquel cette année, je ne me suis pas trouvée. J’aimerais beaucoup consacrer les prochains billets à un petit arpentage de ce qui, ne changeant rien, semble m’avoir fait passer outre. C’est un vœu pieu de brièveté et de continuité…
Il faudra compter au nombre des transporteurs les mots croisés force 6, la fermeture de la chaîne de production des dispositifs contraignants, le détour des cahiers dessinés, une épiphanie de lecture et, pour commencer, la nouvelle temporalité de l’atelier #rectoverso.
Mon amie Françoise, qui organisait ces vivifiantes résidences d’écriture au Couvent de la Tourette, lisant le précédent billet s’étonne de ma persistance à écrire l’été avec le Tiers-Livre. Depuis 2018, je n’ai manqué aucun cycle estival. Je prends sa question « Comment fais-tu pour suivre (encore) l’atelier ? » comme une nouvelle contribution de sa part à ce journal. Comment, oui, comment ?
— C’est facile : je suis abonnée, je reçois chaque proposition dans ma boîte mail, l’accès au document de référence et la publication sur le site Wordpress sont d’une simplicité adamantine… Tu croiras à un sarcasme de ma part, tu auras tort : cette grande part du travail mise en œuvre par François Bon allège considérablement la mienne. Ce n’est pas sans évoquer les paniers AMAP. Ils t’épargnent la fréquentation des grandes surfaces. Ils regroupent plein de choses originales jusqu’à l’incongruité. Et le temps que je ne passe pas à la liste des courses peut se consacrer au geste de cuisiner des aliments que je n'avais jamais préparés ni goûtés pour certains. Or, c’est bien le geste qui est pour moi le grand sujet de l'écriture.
— Le (encore) dans la question suppose qu’une forme d’émancipation aurait dû avoir lieu… Cela fera bientôt dix ans, c’est vrai que je participe à l’atelier. Il est possible que je sois lente. Ça me va. Pourtant, si je suivais des cours de tango ou de chant, je suis sûre qu’on ne me poserait pas la question.
et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par l’obscurité et les jours par les nuits... Stig Dagerman / Notre besoin de consolation est impossible à rassasier
Par ailleurs, je ne crois pas que l’isolement témoigne de la maîtrise ou de la profondeur d’une pratique. Les rencontres qui se font et se refont au fil de chaque cycle fondent et consolident, ouvrent et ramifient. Elles peuvent devenir un objet de distraction, bien sûr, mais, soyons honnêtes, nous sommes des êtres humains et notre super pouvoir consiste à nous distraire de tout à partir de rien. L’abandon de l’atelier ne m’offrirait pas davantage de constance que sa poursuite.
D’autre part, je n’ai pas l’impression de redoubler. Je vois les autres avancer aussi. Quant à François Bon, il ne bégaye pas. Il s’appuie, comme il l’a toujours fait, sur les textes reçus dans la proposition pour inventer la suivante. Il s’appuie aussi sur ses propres chantiers. Il change. Nous changeons.
— Cet été, je suis arrivée avec un texte déjà très amorcé (Cinq Séquences). Pour une fois, ce n’est pas un puits sans fond, mais un projet relativement borné. J’ai souvent respecté les formes incluses dans chacune des quinze propositions, en retravaillant illico le texte obtenu pour que ça aille dans le sens du bois. Qui ne m’ajoute pas me vole : ma pratique scénique m’a depuis longtemps convaincue que je suis plus inspirée en compagnie. À la fin, on ne sait plus très bien qui a eu l’idée de quoi et on s’en fiche. Ici, plus encore, j’aime m’apercevoir au fur et à mesure de ce que va être réellement ce que j’avais envisagé d’écrire. Le plus difficile, c’est d’admettre que des textes auxquels je suis attachée (l’effort qu’ils m’ont demandé, la lumière qu’ils m’ont apportée…) n’auront été que des mises en jambes. Ils m’ont permis d’accéder à un lieu nouveau, il convient à présent s’en délester. L’autre chose, toujours étonnante et terrible, c’est la tête du texte, ce miroir qu’il tend. Là encore, l’atelier et sa horde m’auront aidée à trouver ce drôle de courage qui consiste à se dire : ah oui, c’est ça que je fais. Comme ça que je fais.
— Mais ce qui a été déterminant cet été, c’est l’abandon du rythme quotidien (voir les épiques sessions #40jours) au profit d’une proposition tous les trois jours. Écrire chaque jour sur une piste nouvelle m’a assouplie, puis amusée, mais ne sachant pas faire l’économie d’une surstimulation, j’ai fini par en faire une démonstration de force, non dénuée de brutalité. Pour qui a été entraîné au marathon des années précédentes, le calendrier de l'atelier de cet été s’apparente à une marche, une longue marche, un pèlerinage, peut-être. L’écriture s’inscrit plus profondément dans les paysages, les temps de bivouac, les échanges, les rêves. Il est beaucoup plus simple de garder à l’esprit quelles propositions appellent à être retraversées. Des liens solides se tissent de l’une à l’autre. Il est possible que je sois encore surprise de ce qui se produit quand je laisse seulement agir la gravité (celle de la loi) : l’expérience d’une nouvelle texture du temps.
bien d'accord sur ton approche et ta définition de l'été... surtout ne pas se retrouver dans la mêlée, vivre tout simplement dans son intimité... et j'adore ta comparaison de Tiers livre avec les paniers bio tout prêts et solidaires... et tellement ravie de mon côté de faire partie de la "horde"
donc plein de sourires dans ce commentaire pour te rejoindre...🙂 et l'une de mes dernières roses...
bien à toi
+1 pour l'AMAP. Et solidairité pleine et entière sur le temps qu'on a ou pas. Plus j'ai de temps et plus je prend mon temps et paf, en retard... Mais on pourra toujours essayer de faire mieux l'été prochain ;-)