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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’ÉTÉ XIX

Dernière mise à jour : 23 juil. 2023


Praz-sur-Arly, été 23.

Il y quelques mois, je suis tombée sur un autocollant translucide à poser contre une vitre, un pare-brise, voire un verre de lunette portant l'estampille « Réalisé par David Lynch ». Un récent séjour à la montagne confirme cette impression que depuis Twin Peaks, ce paysage, cet environnement s’offrent à de nouvelles lectures ou plutôt un rétropédalage romantique, bien loin des Sous-doués et des cartes postales du Mont-Blanc. La photo ci-dessus vaut à elle seule pour démonstration. Après le tour de ce nouveau dispositif répondant au nom artificiel de "lac d’été", nous avons croisé dans les sous-bois qui l’entourent, un grand type maigre à casquette, polo et bermuda bleu marine, genre d’autorité locale en matière de baignade et de sécurité, pour parachever le tableau.


Photo encore, suite aux retours surpris sur celle de mon bureau (pour mémoire, une vue du « poliburo » illustrait le numéro XVIII) par Marie-Thérèse Peyrin, collègue du Tiers Livre : elle ne peut pas croire que j’écrive depuis un lieu aussi austère… Or, pour moi, l’organisation de mon bureau du Rempart à Valenciennes est éminemment poétique. Je m’assieds là et j’écris en direct du post-exotisme. Quelque chose se décale. Ce bureau est une pièce-sœur de la cuisine de mon appartement à la Maison Rouge à Sofia, où j’ai fait un mois de résidence d’écriture avec les sous de la bourse Beaumarchais pour La Jeune Fille sans mains. Comme j’aime la cellule du Couvent de la Tourette, la série de photo de Romain Dumas Une chambre à soi, j’aime le vide, tout relatif, du Politburo. Trop de concessions y sont déjà faites : une table basse et un meuble à volets s’ajoutent au bureau et à la chaise. Les marionnettes finissent toujours par envahir l’espace, alors même que j’entretiens une relation ambiguë avec leurs semblables, et les livres, les livres, qui isolent commodément les bords de fenêtre en hiver, ne déménagent pas en été), qui m’accompagnent de plus d’histoires et de combinaisons que je ne le souhaite. Mais c’est très amusant qu’on puisse m’imaginer ailleurs que dans ce lieu si réfléchi et tant aimé.


Je relis mes jérémiades quant au désir d’écrire des choses très différentes dans le numéro précédent… Mais qu’est-ce que je fais d’autre, sinon écrire des choses très différentes tout le temps ? En ce moment, rien que dans le Carnet des jours suivants, il y a la série Bitume-plage, celle, rigolote, qui se passe sur un improbable campus dans laquelle je recycle les histoires de boulot qui croisent ma route, les papillotes de Marcel et l’annotation de Danube de Claudio Magris. Pourtant cette étape, de la lamentation, ou du souhait et de sa formulation dans le journal d’écriture, si elle peut être compressée, demeure indispensable. Comme dans le conte Pour être un homme, nomme, que je tiens de la rencontre de 2004 « pourquoi faut-il raconter des histoires ? ». Il faut dire et redire. Redire par exemple l’importance de tenir des journaux pour ceux et celles qui écrivent dans le sable, c’est un échange que j’ai eu cette semaine avec la dramaturge Sophie Jabès qui s’attaque courageusement à la production de sa dernière pièce sur une diva orientale. À l’instar de la plupart des personnes qui se tournent vers moi pour un conseil, elle a besoin d’une chargée de production, de diffusion… tout ce que je ne suis pas. Mais finalement, je m’aperçois que ce n’est pas ce qui est attendu de ma part, qu’un autre besoin est plus pressant encore. Un moment d’échange de pratiques, d’histoires, propres à alimenter ce courage par de l’inspiration, à donner envie de raconter des histoires, y compris celles des galères qu’il faut prendre pour en raconter. Cette mise en abyme est salutaire. Elle est parfois offerte par des journalistes qui ouvrent et accompagnent un vaste espace de réflexion. Je pense particulièrement aux expériences récentes dans le cadre de La Bonne cause avec Étienne Chanson (Harmonies du soir) et David Christoffel (Métaclassique : Abrutir). Mais ces occasions (comme la qualité de ces interlocuteurs) sont rares et elles se produisent souvent au terme d’un travail et non à son commencement. Alors, ici, je pallie sans faillir.


Je ne l’ai pas noté en temps et heure, mais je suis très fière d’avoir écrit une série de courts poèmes en-têtes aux pièces du Bestiaire Héroïque de Romain Dumas. Évidemment, la SACD m’annonce que si les textes sont projetés, je peux m’asseoir sur de quelconques droits. Mais la réalisation de ce projet avec Ut cinquième, chaque poème restant apparent pendant toute la pièce, m’enchante. En attendant l’enregistrement, voilà leur recueil minuscule (avec ses variantes, le projet du compositeur n’en comptant que 5).


La biche de Cérynie


1. Tu peux stopper la

Biche mais la course, non pas !

Toujours elle échappe


2. Fais face chasseur

La biche, oui, tu l'arrêteras

Mais jamais sa course


Pégase


Crinière d'air

sabots du vent, robe d'azur

pesée d'une plume


Python


Sous le dragon l'or

Couve, le feu ancien qui dort

Avec le futur


l'Hydre de Lerne

1. Ses têtes te happent

La tête, la hachent, la mâchent

Laquelle combattre

2. chaque tête tue

Repoussantes toutes repoussent

Une seule tombe


les Sirènes

Un phare obscur luit

Au sein de leurs voix aveuglantes

La lune chavire


Dans les temps pour une fois pour répondre à la proposition des Villes en Voix de Françoise Breton, j’envoie un poème sur une créature de mon quartier. En dépit d’une forme de pseudobienveillance qui consiste à ne plus parler de rien, et particulièrement pas de ceux et celles qu’on n’entend pas, j’essaie de tenir bon la barre, ou au moins la chronique des jours ordinaires et des gens tout cassés que je croise, notamment avec Bitume plage. C’est notre responsabilité qui est convoquée là, pas notre culpabilité. Impossible de dire ce que ressent qui que ce soit, moi en premier lieu. Cependant, davantage d’imagination, c’est moins d’imaginaire et je pense qu’il y a une forme de dignité à parler depuis notre place, en acceptant la limite inhérente à cette exercice, mais sans se débiner pour autant.


Je m’interrogeais sur la viabilité d’un personnage, Sasha, son intérêt et puis David Legoupil écrit en commentaire d’un extrait des Dits de Sasha qu’il mettrait volontiers le texte en écho à un extrait de Fahrenheit 451 pour ses élèves… Initialement, le personnage de Sasha était le frère aîné du héros. Tous les deux petits-fils d’Alice A. Petit à petit, l’expérience de Sasha est devenue indispensable dans la construction du récit. Elle se décline en courts chapitres dans une partie titrée, jusqu’à preuve du contraire, Les Dits de Sasha. L’intérêt de David Legoupil a conforté le mien. Il m’a rassuré aussi, parce que si Sasha délivre des considérations pratiques et techniques sur la meilleure façon de passer sous les radars… je ne sais pas de quoi je parle. Et toute la documentation du monde ne change rien au sentiment d’illégitimité puisque c’est un sentiment. Cette proposition a parachevé une révolution en cours dans le manuscrit du triptyque Sauveterre : voilà plus de deux ans que je me casse la tête sur la chronologie des deux premières parties (la troisième étant du domaine de la SF, j’ai moins de problèmes de cohérence. Quand on écrit deux siècles après les évènements, il peut y avoir des zones de flous.) Or, tous ces problèmes de datation, ont trouvé une solution inattendue, puisqu’elle n’est pas liée aux dates, mais à la nature du personnage de Sasha. J’imagine… qu’il n’existe pas. Enfin, qu’il est un personnage composite. Le héros a bien un frère aîné qui a disparu de la circulation. Ses parents ont bien eu un enfant qui est mort et dont ils ne parlent plus. Alice a bien un chat. Le héros enfant, à bien un problème de prononciation qui confond S et CH. Le médecin d’Alice a bien un patient qui du nom de Sasha. Tout ça va s’agglomérer dans l’esprit de l’enfant dans un personnage de super frère, auquel, parvenu à l’âge adulte, il continuera de croire dur comme fer, incapable de démêler le vrai du faux, comme nous tous qui pataugeons dans les secrets de familles.

J’ai bien peur que ce genre de notes ne soient pas utiles pour grand monde, mais je me devais de mentionner ici ce qui s’apparente à une véritable épiphanie. Mais en synthèse, l’imbrication des problématiques personnages, temps, lieux dans la narration est telle que la modification d’un élément se répercute de façon inattendue sur les autres. Ces répercussions, redoutées et qui souvent nous coincent par avance dans ce qui a été écrit, nous rendant hésitant à bouger la moindre virgule, peuvent parfois s’avérer des simplifications.


Les notes sur Danube continuent… par là.


Spécial Fées fâchées : la tournée de remerciement des Fées fâchées se poursuit. Signature du Journal d’un Mot pour les contributeurs et contributrices à Nevers entre le 28 et le 31 juillet. Manifestez-vous si vous êtes dans les parages !

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