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Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’ÉTÉ XVIII



Depuis la dernière parution d’ÉCRIRE L’ÉTÉ (XVIIe numéro estival de ce journal d’écriture commencé voilà deux ans et qui court les quatre saisons de l’année), quelques échos :


  • Poésibao, Florence Trocmé et son Flotoir ont repris le collier, au soulagement du plus grand nombre. Qu’elle en soit remerciée.

  • Women in the mountains, la résidence d’écriture en Bulgarie m’a fait savoir que ma candidature n’était pas retenue pour août prochain et que je n’en saurai pas plus long, compte-tenu du nombre de dossiers reçus… C’est le genre de nouvelles bonnes et mauvaises à la fois. Ne pas être déçue confinerait à une forme de crétinerie : qui donc entreprend quoi que ce soit dans l’indifférence du résultat... Moi, probablement. En échangeant avec Maxime Milhorat-Gusteau, la jeune doctorante qui accompagne mon cours au CNSMDP depuis six mois et qui doit fournir en moins d’une semaine une note d’intention pour un projet d’opéra dont les conditions de réalisations font une épreuve olympique, j’ai évoqué la démarche du Café Europa pour ce type d’opération. Nous avons régulièrement participé à des concours de mise en scène, sortes d’appels à projet en trois tours, ouvert à deux battants. Nous n’avons jamais essayé de remporter l’épreuve, c’est-à-dire de complaire à un jury. C’est Barthes qui explique le mieux en quoi ce serait inintéressant et incidemment, impossible :

Écrire dans le plaisir m’assure-t-il — moi, écrivain — du plaisir de mon lecteur ? Nullement. Ce lecteur, il faut que je le cherche, (que je le « drague »), sans savoir où il est. Un espace de la jouissance est alors créé. Ce n’est pas la « personne » de l’autre qui m’est nécessaire, c’est l’espace : la possibilité d’une dialectique du désir, d’une imprévision de la jouissance : que les jeux ne soient pas faits, qu’il y ait un jeu.

Nous utilisons ces échéances pour rester au travail en équipe, quand il n’y a pas assez d’emploi. Pas question donc de les gâcher à faire des approximations. La compagnie est toujours fière du projet qu’elle propose, objet d’une honnête et revigorante réflexion. Ensuite, nous ne nous faisons aucune illusion sur le résultat. Si ça marchait, ça serait bien, évidemment, mais quelque chose est déjà là, imprenable, dans nos échanges et nos rencontres.


Pour la Bulgarie, mon plus grand regret, hormis la joie de revoir les amis et le pays remise aux calendes, c’est de ne pas avoir l’occasion de raconter un nouvel épisode balkanique à Pierre Daubigny, fin connaisseur du sujet. Mais après tout, qu’est-ce qui m’en empêcherait ? Je connais assez bien les façons de faire et la géographie du pays pour bricoler la fiction de mon séjour, voire pour achever la pièce de théâtre sur laquelle je projetai de travailler en racontant comment j’en viens à bout dans le cadre d’une résidence d’écriture en Bulgarie… C’est tentant. Mais la montagne bulgare n’accouchera pas de cette souris. C’est qu’une correspondance avec Marion T. du Tiers Livre a récemment remis mes pendules à l’heure. Elle a pris le soin de détailler toutes ses occurrences d’écriture, tout le bois, petit ou gros, donc elle fait feu, à la fois sur le contenant (du message whatsapp aux carnets, blog, lettres…) et le contenu (choses vues, réflexion spontané, introspection…). La lisant, je me faisais la réflexion que j’écris comme je lis : de tout, ou presque, parce que tout ou presque me plaît. François Bon commentait récemment mon Carnet en me demandant si je me forçais à écrire tous les jours. Mais non, c’est tout le contraire : j’ai travaillé à ne plus me forcer. Je m’assois, j’écris. Pendant un temps, il fallait même me forcer à ne pas écrire, mais tout ça a fini par trouver une sorte d’équilibre relativement paisible. Les élèves en danse du CNSM promènent partout leur corps de danse, même à la cantine ou dans leur sommeil. Il en va de même pour moi. Je promène mon corps d’écrivante, j’ai le sentiment de ne plus pouvoir en être départie. Puisque la question du « comment écrire » et du « quand écrire » ont trouvé des réponses, reste celle du « quoi » qu’il convient d’interroger les yeux dans les yeux, à la faveur de cette pause estivale.

Tout ce que j’aime ne sera pas possible dans le temps qui m’est imparti. Et pourtant, je voudrais garder la liberté de Lessing/Somers et d’aller voir sans prétendre me spécialiser ni entériner un style comme une marque de fabrique.


  • J’ai commencé à annoter Danube de Claudio Magris (reste assumer les nombreuses conséquences de cette démarche). Ce projet est ma danseuse pour l’été. J’espère qu’elle ne me laisserai pas sur la paille, ayant par ailleurs un livret de cantate et un atelier d’élèves sur le feu, l’état des lieux de l’année 4 du Journal d’un mot à établir et les chantiers monstres (Sérail et Sauveterre) à prolonger puisque l’été est le seul temps qui leur soit donné. Les numéros de pages font référence à l’édition Folio. J’ai opté pour une note par chapitre. C’est frustrant, mais, j’espère, faisable.


0 — Un livre qui commence par une carte, immédiatement merveilleux. Depuis Le Seigneur des anneaux, impossible de croire qu’on s’y tiendra aux faits, à la géographie, à un monde sans fées. Dans mon édition, déjà usée par d’autres lectures, la page se détache qui rend compte de la course du Danube de sa source à Csepel, (dont on n’a pas la moindre idée… Ville ? Mont ? Lieu-dit ? en tous cas le fleuve y passe et la feuille s’envole). Une fois à Budapest, la carte reste bien arrimée au livre, pour l’instant, et ce jusqu’à la Mer noire. Il y a longtemps, on m’avait demandé d’écrire sur elle, Tcherno More… Le Danube coule entre villes et villages, montagnes et plaines. Ainsi notre vie, qui passe et laisse de côté projets et amitiés, rancœurs et déceptions, rêves et accidents, tragédies, drames et brimborions qui pourtant occupent un temps parfois fort long la première place dans notre esprit, notre temps, notre cœur, par la simple grâce de s’être trouvé à la pliure d’une page, où la cicatrisation est plus lente et la marque qu’elle laissera, certaine. Mais notre vie comme le fleuve tout le temps qu’elle passe jouxte son passé aussi bien que son présent. Et prévoit, dans un demi-sommeil, l’avenir.


1— Au milieu d’un déferlement de références et d’idées, un guide d’écriture(s) pour le voyage : « faire en route une moisson d’images à noter, ainsi que de vieilles préfaces, de programme de théâtre, de bavardages de relais, de poèmes et de chants épiques, de discours funèbres, d’élucubrations métaphysiques, de coupures de journaux, de règlements d’hôtel et de bulletin paroissiaux. » En quoi est-ce un guide d’écriture puisqu’il ne s’agit que de collecter à droite et à gauche tout ce qui nous attrape l’œil ? Eh bien parce que c’est notre œil qui est attrapé et nul autre et c’est déjà un ordonnancement du monde, la gouvernance d’une île. Ensuite parce qu’il fait bon se reposer sur d’autres pour ne pas s’effrayer de ce qui nous attend, déclaration performative puisque c’est exactement ce à quoi je me livre en annotant Danube de Magris. Enfin, parce que c’est dans les interstices que ça écrit.


2— Tout à coup, alors que j’avais pris mon courage à deux mains, les chapitres changent radicalement de format. L’arroseuse arrosée : j’aime à mettre en scène des spectacles dont la deuxième partie dure à peine le temps de l’entracte qui l’a précédée. Comment importer le savoir-faire de la scène dans la littérature ? Littéralement.


3— Danube, prix du Meilleur Livre étranger Sofitel 1990 dans la catégorie « essai ». N’empêche que l’Amédée des robinets, j’aimerais bien savoir s’il existe ailleurs que dans ces pages.


4— L’imprécision des métaphores me déroute (j’ai sauté une ligne ? Manqué un virage ?), me panique (je ne comprends plus rien, il me faut de nouvelles lunettes, c’est ça vieillir ?), me chiffonne (non, j’ai bien lu, c’est imprécis, comment peut-on être imprécis?) et m’apprend : j’en déduis le maladif… désir ? besoin ? d’exactitude qui me tient loin de toute évocation (ce à quoi Magris excelle). Et pourquoi ? Pour ne pas être prise en défaut, en défaut de paiement, comme une qui écrirait au-dessus de ses moyens. Y’a donc pas mal à (ap) prendre p. 33, dans l’emboîtement des images du vent et des rideaux. Toutes ces parties de cache-cache avec le sujet principal de ma pensée, de mon désir sont un fameux moyen de ne pas porter le poids de ma parole (c’est-à-dire de sa légèreté autant que de sa lourdeur), de ne pas trop dire je. De cela également, Magris cause, dans ces chapitres prémisses : L’emploi de la première personne du singulier est loin d’être évident, et le voyageur plus que tout autre est embarrassé, face à l’objectivité des choses d’avoir dans les jambes ce pronom personnel. (…) Stendhal disait, en parcourant la France, que tout compte fait c’est un moyen commode pour raconter.


5— Il faut imaginer un type à pedigree. Assez beau, en tous cas, un type qu’on remarque quand il rentre dans l’épicerie. Il a un accent exotique et un très bel imperméable, ce qu’on remarque immédiatement à Londres. Les chaussures sont très bien aussi, mais il n’achète pas la boutique, il paye sa note. Il ressort en costume et chapeau sous la pluie fine.


À suivre…


  • Enfin la tournée de remerciement des Fées fâchées va son petit train. Signature du Journal d’un Mot pour les contributeurs et contributrices en Savoie cette semaine, à Lyon le 14 juillet et à Paris le dimanche 16 de 11 h à 15 h à la Cité audacieuse. Manifestez-vous si vous êtes dans un des parages !



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