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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’AUTOMNE XVI



Bel oubli dans le dernier journal. J’ai dû aller fouiner dans les archives du Sérail pour le cycle #photofictions, histoire de me remettre en tête le passage concernant la photographie annuelle du personnel et sa photographe. Cela faisait des mois que je n’avais pas ouvert le manuscrit. Ça a été une sacrée surprise, parce que dans mon souvenir, il y avait là une compilation de textes, sans liens clairement exprimés entre eux. Mais c’est inexact, et ce ne sont pas les lutins qui ont écrit le texte d’ouverture qui met en perspective tout ce qui suit, permet d’en supporter le caractère fragmentaire ou énigmatique. C’est moi, il y a un an. C’est le temps de décantation qu’il aura fallu pour que je puisse me relire comme un livre.


Note d’écoute Sortie d’usine, 40 ans :

Le matin, par petits morceaux, c’est très riche. Une notion phare pour moi, c’est ce que ƒ nomme « taffer ». J’ai travaillé depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte dans la pension de famille de ma grand-mère. Dans la mesure de mes possibilités (j’ai pris conscience que je grandissais à la facilité à poser la corbeille de pain sur la table sans plus devoir tendre les bras), mais toujours sérieusement, pour de vrai. Et puis j’ai travaillé pour payer mes études, du service pour l’essentiel, modèle pour les Beaux-Arts, de l’accompagnement de touristes ou de voyageurs perdus pendant les travaux d’été sur la Ligne C du RER… Mettre en scène, enseigner, écrire, ça s’inscrit dans le même secteur, celui où l’on taffe. L’activité physique l’emporte, et la tête c’est du corps, quand on taffe, on le sait.

Une autre phrase qui fait tilt c’est, parlant de l’écriture, « 40 années de négociations avec l’angoisse ». Pas sûre qu’il faille développer là-dessus : ce journal est plein de ces considérations, particulièrement ces dernières semaines.


Depuis que j’ai des lunettes, je me relis beaucoup plus facilement. J’ai fait un round de relecture de l’Archive Sauveterre en mai dernier, pendant mon voyage à Jonzac : ça me tombait des mains. Mais à la réflexion, tout me tombait des mains. Lire m’épuisait, et l’épuisement dégoûte. Je ne sais toujours pas comment Histoires de la nuit a réussi à passer au travers de cette grosse fatigue l’été dernier. Peut-être parce que c’est un grand livre, peut-être aussi parce que c’était l’été et que je l’ai commencé après le marathon des #40JOURS. Donc, je relis les manuscrits bien reliés, ces outils de luxe que je me suis conçu. Avec les lunettes (et sans l’épée de Damoclès de la moindre échéance), le fastidieux s’en est allé. Reste la curiosité et la surprise de voir que ces éléments disparates ne le sont plus depuis longtemps. C’est une constatation familière en mise en scène : on travaille si longtemps en amont et les paramètres sont si nombreux dans l’action, que ça me laisse encore sans voix de réaliser, pendant les représentations, à quel point tout se tient, tout se répond, dans une chambre d’échos ramifiée de mille galeries insondables…

L’autre jour, de passage à Nevers, je réalise que je n’ai pas pris de stylo. En terrasse pour une bonne heure, j’en demande un au patron, bien décidée à mettre à profit l’attente du train et le bel aujourd’hui pour annoter le triptyque (la première partie au moins, celle d’Alice, dont on ne sait si elle part de la tête, si elle a le syndrome de Todd ou encore si elle n’était pas l’Alice du Pays des merveilles dans une autre vie…). Avec le café, un stylo bille est posé sur la table, sur quoi je peux lire « FRANCE ALZHEIMER & maladies apparentées »… Quand faut y aller, faut y aller.


Avec les lunettes, les programmes de lectures sont également revenus à l’ordre de la semaine. Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, Confucius de Cyrille Jaravi et Frédéric Clément et (enfin) Lisière de Kapka Kassabova et dans le noir : La Corde au cou d’Émile Gaboriau.


La publication du Journal d’un mot [ans 1-3] est remise à janvier. C’est une déception, mais aussi je respire mieux : il faut inventer les modalités de précommande et comment doter le financement participatif. À la longue, j’aime être lente. À la longue, ça paye, parce qu’on amasse… Je me demande si je ne devrais pas faire une croix sur ces trois premières années et ne publier que le mince volume de la quatrième, qui avance bien. Il est forcément plus flatteur, il bénéficie de ce qui a précédé. Mais non, s’il y a une chose à montrer, à partager, c’est un cheminement, pas une téléportation.

J’ai dans l’idée de proposer un podcast hebdomadaire de la Dose de Poésie, en récompense aux commandes ou aux dons pour les Fées fâchées. Romain Dumas m’a composé un générique, Damien Lehman des séquences au zarb pour séparer les poèmes. Je demande à Monsieur Hirouchi, le clown d’Alban Gérôme de bien vouloir bégayer autour du titre, avec son effarement perpétuel devant les mots. Le logo est arrivé, simple à lire et porteur de mille milliards de significations… Pour mes dossiers, il y a même un résumé typo avec les accents qui me ravit : LF’F^'. On dirait un idéogramme.

Écrire l'été
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