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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’AUTOMNE XV



Une période avec davantage d’écriture en texte qu’à l’écran ou sur papier. Et, disant cela, je vois l’amoncellement des entrées du Journal d’un mot an 4, les deux nouveaux textes pour le cycle #photofictions et un matin Tôt en plus. Il y a longtemps que le questionnement n’arrête plus la main, n’empêche plus de faire, mais je me suis bien débattue (voire Tôt | à côté) et j’ai été bien soutenue dans cette empoignade par les commentaires de Piero Cohen-Hadria et de Simone. J’ai déjà évoqué tout ça dans l’édition précédente mais c’est que ça rabâche et les moments de soulagement, où j’énonce clairement ma place, alternent avec ceux où j’ai l’impression de me remettre la tête sous l’eau, me noyant dans d’infinies justifications raffinées ou brutales sans jamais lâcher le stylo, cette bouée, cette balise.


L’Assemblée générale du Café Europa, reportée maintes fois pour cause de crise sanitaire, des coups d’états dans les agendas déjà surchargés des membres du bureau et de mon propre laxisme, a enfin eu lieu. Voilà actée la création des Fées fâchées, et les fonds nécessaires sont engagés. Le vice-président et la présidente échangent leurs postes respectifs. L’ordre du jour est réglé. L’exercice du bilan artistique est toujours salutaire et il montre combien la gouvernance du bureau influence mes choix, leur direction… Ce dont ses membres ne se rendent pas vraiment compte. Rien ne tombe dans l’oreille d’une sourde des réserves ou des souhaits émis. Je m’aperçois que depuis des années, j’essaie de les déranger le moins possible, pour un résultat désolant : ses membres ignorant tout ou presque de leur influence, de leur importance, mon bureau se sent à peine utile. Nos retrouvailles, ce récit qu’il m’y faut faire de nos activités passées, l’évocation de ceux qui sont en germe, leurs réactions, leurs questions, leurs demandes me remettent à flot, dans le flot. Par quel malentendu est-ce que nous nous privons de cela ? J’avais tenu, il y a quelques années, une Gazette du Café Europa, mais à force de ne pas savoir à qui je m’adressais, je m’y épuisais. Comment ai-je fait pour ne pas prendre plus tôt la décision qui vient de couronner ce moment ensemble : leur donner des nouvelles, une fois par mois ? Pas une newsletter, une carte postale. Finalement, cette décision qui paraîtra d’une simplicité enfantine (j’écrivais déjà des cartes postales depuis la colo), il m’aura fallu des années pour la mettre en œuvre. Des années pour renoncer à agir pour un très grand nombre. Des années pour renoncer à adapter tout ce que je lisais d’intéressant. Ils ont été deux, à me dire, pour des raisons différentes et à des moments différents que je n’étais pas obligée. Je les en remercie chaque jour, même si le renoncement n’est pas donné. Une certaine dorme de « la communication », comme de « la carrière », me retourne l’estomac. J’aime écrire. J’aime écrire en ma compagnie. J’aime dire quelque chose à quelqu’un. C’est beaucoup déjà. Et suffisamment. Le Café Europa a dix ans. Je ne crois pas qu’il sera jamais bien plus grand qu’à présent. On va réussir à caler une maison de poupées d’édition à côté des corbeilles de pains, dans l’arrière salle. Nous vivrons de miettes, comme la fée du même nom.


À l’École Estienne pour présenter la Bonne cause aux M1 en illustration scientifique. Je leur ai lu l’avant-propos de la Place des bonnes d’Anne Martin-Fugier, ce qui m’a confortée dans l’idée de faire la journée d’étude du 8 mars autour de ce livre, en dépit de l’absence de son autrice. Il dépote cet avant-propos. J’aimerais tant savoir aussi bien dire pourquoi je fais les choses et où je vais… Je me console en pensant qu’elle l’a rédigé à la fin. Je leur ai également lu des extraits de ma série Tôt, qui ont servi d’appui à un exercice de commentaires dessinés. Leurs dessins étaient à la fois très différents dans la forme, mais j’ai pu voir combien certaines évocations parlaient à plusieurs. C’était très encourageant. Leur intérêt aussi pour le projet (il va en falloir un bien fort, si on veut les faire venir à 6h du matin… ). J’ai parlé de ma place de témoin, de mon incapacité à savoir à quoi sert ce que j’écris, ni à quoi cela servira, ni même à qui. J’ai fait la liste de tout ce que je ne suis pas ( tous les mots en -logue.) Et puis de ce que je suis : là, en même temps, dans le même lieu. Je crée une somme. Je sais que cela va durer des semaines. On verra après. Je voyais dans leurs regards une onde partagée. Leurs trois professeur·es aussi voyaient (trop) bien ce que je voulais dire.

Je suis rentrée à vélo sous la pluie, mais il faisait bon.


Cette recherche en art, et surtout son volet contemporain (Tôt, donc et tout le travail de rencontre et d’échanges avec une partie du personnel d’entretien et de service au CNSMDP et à l’Opéra Comique) me fait bien prendre la mesure du combat que représente un geste artistique. Ça peut sonner terriblement ronflant, mais j’en suis à l’élaboration de cette pensée. D’habitude, je travaille essentiellement sur un répertoire ancien. J’y suis fort critiquée, parce qu’à l’opéra tout fait mine de choquer, mais cela m’amuse plutôt, ce théâtre de l’indignation, cette certitude qu’ont certaines personnes, qui finalement n’y connaissent pas grand-chose — à la scène — d’être du bon côté du manche. Mon travail alors est tout aussi expérimental, mais comme personne ne veut voir qu’il s’agit d’une matière vivante, je me déguise facilement pour le faire en paix. Il en va tout autrement avec la participation du personnel d’entretien à un processus de création et de réflexion. Les gens (et bien entendu, pas ceux qui ont concernés au premier chef) me ramènent dans les jambes tout un tas de désirs, de croyances, de préconisations sur la conduite à tenir, qui sont autant d’entraves. Je me sens infantilisée, et je réagis, hélas, toujours de la même façon en pareille situation : retour immédiat devant le Juge des Enfants.

Combat donc, personnel et social. C’est bien de se le rappeler.


Enfin, le cycle #photofictions m’a ramené au Sérail que je ne pensais pas pouvoir augmenter avant l’été. Cela m’a valu un commentaire de Will, qui éclaire des années de travail : « C’est comme un conte des Mille et une nuits au carrefour de L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanique ». Grâce à Proust (et surtout à f qui en éclaire si bien la lecture technologique dans Proust est une fiction), il est pas mal question de photos, de films et d'enregistrement dans mon vieux Sérail de la fin des années 20… Cela me remue l’écriture, en recolorisant mes textes, comme ces images bouleversantes de l’Occupation et de la Libération qui ont rapprochées d’un coup ces périodes de notre quotidien d’enfant du XXe siècle.

Will ajoute : « J’aime bien ce genre de croisement. Surtout avec cette facilité de raconter des petits contes. — Mais je me demande toujours où tu vas chercher tes images. Dans les livres d’images? ». Non, jamais dans des livres ou presque. Les photos d’illustrations viennent toujours a posteriori, une fois les textes écrits. Mais les images affluent sans cesse, jusque dans les rêves de la nuit. La difficulté, c’est plutôt de limiter leur emprise, leur folle ramification…

Écrire l'été
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