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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L'ÉTÉ XXII



Dans les lectures bouleversantes (et surprises) de l’été, il y aura eu l’article de Sima Aghazade : One Thousand and One Nights at the transnational crossroads. Surprise parce que tomber sur Cultural Intertexts Year 9 Volume 12/2022 dans la boîte à livres de la place d’armes de Valenciennes est en soi un fameux hasard, l’ouvrir et décider de l’emporter avec moi quand ma pile de livres de l’été est en passe d’atteindre le plafond, en rien une nécessité, mais surtout le lire immédiatement au lieu de le laisser décanter (moisir), avec tous ses copains passionnants de textes universitaires, l’option la plus improbable de ma vie de lectrice. Et pourtant… Maintenant que la surprise est passée, j’en viens au bouleversement. Je ne donnerai pas le change en parlant des 1001 Nuits : c’est un journal en public, un minimum d’honnêteté est requis pour le faire consister : je dirai «Les Nuits », puisque c’est ainsi que les gens touchés par cette addiction procèdent, (on notera l'ampleur de l’intoxication), et je fais partie de ces gens. Depuis… Les dates sont toujours un cauchemar... Voyons, j’ai ce livre de contes magnifiquement relié dans des tons sable et or, avec une illustration de couverture en couleur qui représente Shéhérazade contant aux pieds du sultan Sharyar. C’est un livre d’un autre temps : il a appartenu à Pierre, l’homme qui a brièvement et brillamment tenu le rôle du père sur la période courant de mes 5 à 8 ans, sur la scène principale puis de 9 à 12 ans, dans les coulisses. Il a ensuite fort discrètement passé l'arme à gauche et c'est depuis l'autre scène, qu'il exerce depuis sa fonction. Avant lui, le recueil avait appartenu à son propre père, ou du moins je me plais à m’en souvenir ainsi. Les aléas des séparations, des veuvages, des héritages et des déménagements ont fait que ce livre est la seule chose qui me reste de cet homme sans qui, eh bien, ça aurait été une autre paire de manches, que j’aurais probablement perdues avec le jeu, au lieu de les retrousser, comme on peut bien voir. Quand je dis « ce livre », je parle de l’objet, de son contenu et de ses ramifications… infinies. Il ne m’a jamais quittée et pourtant, jusqu’à l’instant d’écrire ces lignes, j’avais oublié comment il était arrivé jusqu’à moi. Mais finalement, quelle importance, quand Les Nuits sont, d’aussi loin que je me souvienne, un des piliers de ma conception du monde. Or, l’article de Sima Aghazade (qu’à sa grande surprise, j’ai remerciée par écrit), se fait l’écho du chant d’amour universel des Nuits. Ce lyrisme peut paraître débridé, mais il convient au bouleversement que j’évoquais au début de ce paragraphe. Je traduis ici un court extrait, il suffit à lui seul à me réchauffer le cœur :

« Bien que les Nuits ne contiennent pas véritablement mille histoires (peut-être plus de 200), mille et une suggèrent l’infini, l’illimité et la fluidité qui ne peuvent être contenus dans aucune structure autoritaire. Cela signifie que l’art de raconter des histoires ne s’arrête jamais, pas plus que la forte énergie narrative des contes qui s’adapte à l’insaisissable diversité des voix. Dans le monde d’aujourd’hui, les Nuits appartiennent à la fois aux Orientaux et aux Occidentaux, aux autochtones et aux immigrés, aux littéraires et aux littérateurs. Elles ont une toile de fond multinationale et multiculturelle, repoussant les limites de la flexibilité transnationale et de l’hybridité culturelle. »

Mais au-delà du bouleversement, ces lignes me rappellent le sens du geste d’écrire : tracer un cercle sans début ni fin, oui, mais également entendre et donner à entendre le chœur des petites voix. Et me voilà tout à fait ragaillardie pour retourner à la tâche déboussolante, mais grisante, d’ordonner dans le récit-cadre du Sérail, ses étonnantes ramifications.


Autre contribution majeure aux manuscrits en cours, le Triptyque Sauveterre en l’occurrence grâce à un échange suivi avec Roselyne Cazenave. Elle m’apprend qu’il y avait d’autres Sauveterre sur le sol français, et ce pour une bonne raison : le nom désigne des enclaves épargnées, où l’on conservait de quoi prévenir la population en cas d’alerte impérieuse. Ainsi à Marseille, « le clocher des Acoules qui date du XIIIe siècle remplace la Tour Sauveterre qui sonnait le tocsin et convoquait les conseils municipaux : il est le dernier vestige d’une église gothique rasée en 1794, la flèche étant reconstruite au 17e. siècle. » https://provence-alpes-cotedazur.com/que-faire/culture-et-patrimoine/lieux/clocher-des-accoules-marseille-2eme-fr-2900779/

De quoi j’informe illico Will, qui à force de vivre sur le site, est devenu un personnage à part entière du Triptyque. Nous creuserons ensemble, mais plus tard, les possibilités qu’offre cette information, et les galeries noires qui la prolonge.


En préparation de l’article pour la somme de John Parisi « Les écrits de la mise en scène lyrique », qui fera suite au colloque du même nom qui a eu lieu à Lyon l’an passé, trois rendez-vous avec Maxime Milhorat-Gusteau, la doctorante en études théâtrales qui a honoré mes cours de sa présence depuis janvier. On peut parler d’une conversation qui dure depuis 8 mois et c’est d’ailleurs la forme que prendra cet article, avec la bénédiction de son commanditaire, esprit ouvert s’il en est. Le modus operandi est donc simple : nous conversons, nous enregistrons, et certains motifs réapparaissent d'une fois sur l'autre qui semblent importants. Ils rendent compte à la fois du chemin parcouru ensemble, mais également de nos petits dadas personnels...


La collecte des Fées fâchées, (merci renouvelé pour les donateurs et donatrices en nombre) permet de réfléchir calmement à ce que l’on souhaite y faire, ou en faire. Au premier chef, il faut rappeler que l’objet principale est la divulgation de ce qui tourne autour du jeu chanté. C’est à la fois modeste et terriblement ambitieux, compte tenu de l’importance relative du public visé et de manque criant de documentation sur le sujet. Pillant Yves Bonnefoy, j’avais émis le vœux d’une sommes titrée : Notre besoin de Mozart. A la réflexion, il s’agira plutôt d’un trousseau de clefs (bien que je ne renonce pas au beau titre pour autant) pour aborder l’œuvre lyrique. Les trois opéras écrits avec Da Ponte. Par ordre d’apparition : Les Noces de Figaro, pour lesquelles je m’assure de la collaboration de l’avocat Claude Blanch et de la mezzo Camille Bauer (qui a fait son droit entre autres qualités), pour lire l’œuvre au prisme de la justice des hommes et de son appareil. Pour Don Giovanni, nous traiterons de la justice divine (les interlocuteurs sont encore à trouver). Et pour Cosi fan tutte, de la justice de théâtre (il est possible que je me retourne vers le cher Jean-Claude Yon, qui a commis une thèse sur les notaires chez Offenbach). Encore des entretiens tout cela, me dira-t-on, me que faire de mieux de sa vie qu’une longue et riche conversation ?


Musique à programme avec Romain Dumas...

Cela fait longtemps que je rêve d’un atelier d’écriture pour compositeur. Le travail de librettiste ne se tient pas bien loin de ça, bien sûr : la carcassière propose et le compositeur dispose. Mais l’atelier n’est pas là pour créer, mais pour visiter des territoires inconnus qui, une autre fois, seront devenus nôtres. Romain Dumas m’offre, une fois de plus, l’occasion de réaliser un souhait et de me coller à une aventure inédite. Au détour d’une de nos nombreuses conversations sur notre geste d’écriture, ses élans, ses patinages, son usure, son impatience… il me dit vouloir remettre les choses à plat. Ce n’est pas exactement l’expression qu’il emploie, mais, mettons, se remette au travail fondamental. Je lui rappelle son enthousiasme au moment de la Bête et la Belle :

l’expérience de composition régénérante dans la confrontation à de nouvelles contraintes (improvisation des musiciennes en trio sur l’épisode de l’arrivée à la campagne : comment écrire après cela ? se demandait-il alors. Comment conserver et quoi de ces moments inspirés des dames de la Chambre bleue… Et puis la rencontre, vivifiante disait-il encore, avec Bénédicte Lesenne, l’actrice-monstre, pour écrire la Chanson de la Bête en s’appuyant sur sa déclamation, sur son théâtre…). Ce compositeur est un lecteur et un homme du théâtre. Je fais donc la proposition suivante : un atelier de microcompositions, en réponse à une situation, à quelques mots, convoquant à une forme abstraite d’illustration. Une par jour. Après négociation, ce sera une par semaine, comme chez John Cage. La première : Une violente dispute lors de laquelle très peu de mots parviennent à se dire, probablement aucun à s’échanger, mais où les pensées font rage sous les crânes, inhibant la parole. Musique à venir, donc.


Modestement, la fréquentation de Danube de Claudio Magris se poursuit ici...

Et le Carnet des jours suivants, .

Écrire l'été
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