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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’ÉTÉ X



En voyage pour le travail, nous gîtons avec deux violoncellistes dans une maison de Bonnieux, prêtée et non louée, pleine des affaires de ceux et celles qui l’occupent ordinairement. Dans les lieux de vacances, on trouve un certain type de livres. Les livres lus. Des vieilleries, des regatons dont on peine à se séparer, soit par flemme, soit par sentimentalisme, soit par la croyance inquiète que quelqu’un. e ne nous le pardonnerait jamais. Toutes ces raisons peuvent facilement se draper derrière un sens pratique : ça peut toujours servir, un livre, on ne sait jamais. Quand j’entre dans la chambre, il y a des livres partout. Des petites piles, familières, comblent les niches des tables de chevet, se bousculent sur leur plateau, mais aussi sur la commode, les chaises en compagnie de vêtements pliés. Des livres neufs, sans sable, sans corne, sans rayure, sans taches de café… Dans les salons (la maison en compte deux), c’est différent, à part les livres d’art (une collection magnifique), je retrouve les semi-vieilleries attendues. Je passe une soirée délectable avec le Journal d’un jeune docteur de Boulgakov et je pense à Brigitte Célérier, qui achète et lit beaucoup. Cette chambre pourrait être sa chambre. Elle est toute proche : Avignon est à une heure et pourtant je sais d’avance que je ne la verrai pas, ne passant pas par le centre ni à l’aller ni au retour et c’est un pincement de cœur d’un bout à l’autre du séjour. Je manque de lui souhaiter son anniversaire, dans la presse des répétitions, remettant à plus tard, pour mieux faire… Depuis le début des #40jours, elle est fréquemment dans mes pensées, un personnage de Sauveterre (la bibliothécaire) a pris son visage, son allure et sa voix depuis des années. Finalement, j’ai le fin mot de l’histoire : la maison où nous logeons appartient à une libraire. Une libraire, fille de libraires, qui possède six librairies. Elle m’enjoint à revenir lire chez elle, à l’occasion. Lire et écrire… combien j’ai souhaité pareille invitation jusqu’à mes trente-cinq ans à peu près. Ensuite, je me les suis fait parvenir.


Commande m’a été faite de dégotter une série de textes pour accompagner l’exécution (partielle, mais conséquente) de l’Orgelbüchlein de Bach par le quatuor de violoncelles PontiCelli. Mes propositions s’appuient sur une dramaturgie solide (saisons, cycle liturgique…), mais l’ensemble est stylistiquement hétéroclite. S’y côtoient des poètes. ses, des philosophes, des écrivain. es d’époque, et de nationalité fort variées, dans des temps de paroles allant de la double page au haïku. J’ai moi-même écrit un texte d’introduction, d’accueil qui fait la part belle à mon propre étonnement devant ce spectacle, ses contraintes insensées (jouer à 4 un livre d’exercices écrit pour 1, sur des cordes au lieu de claviers et pédalier), et un de mes poèmes écrits pour les Kindertötelieder (Date fixe), a retenu leur attention. Je n’étais pas très convaincue : je tolère ma prose en spectacle, mais la cohabitation de mes poèmes (activité pour laquelle je ne me reconnais aucune habileté) avec les poèmes de ceux et celles qui consacrent leur vie à ce geste me met dans l’embarras. Pourtant, il fonctionne dans cet assemblage, dans cette circonstance. Et voilà donc une leçon de diversité appliquée pour moi. Je ne rêve que roman choral, je n’ai jamais rien écrit que de polyphonique et paradoxalement je cours après ce genre comme si j’en étais incapable. Comme si je ne faisais pas confiance à l’effet qu’il peut (seul) produire : une écoute sans cesse renouvelée, une surprise, un dérangement aussi. Voilà ce programme que j’ai pu essayer deux fois qui me convainc d’insister, de m’obstiner à raconter des histoires avec des voix différentes sans limites de temps, d’espace.


La proposition #27 ( Nathalie Sarraute, fatiguer la question) des #40JOURS est une clé, un passe-partout capable d’ouvrir les portes des chambres de chacun de mes personnages. Il s’agit de cerner un personnage par des questions à son sujet, plus exactement par les questions que je me pose à son sujet, dont beaucoup provoquent chez moi une sorte de gêne, tant elles me semblent un aveu de faiblesse. Entendons-nous, la faiblesse n’est jamais pour moi autre chose que l’absence de travail suffisant. Mais dans le même temps (c’est l’été du paradoxe exprimé), je ne veux pas grillager les personnages. Les prévoir, les blinder. J’aime ce moment où ce que l’un devait vivre, dire, sera finalement attribué à un autre. J’aime ce tour de passe-passe qui a toujours un air d’usurpation. Je me sens comme une barbare glissant un ciboire d’or dans les fontes et partant au grand galop vers d’autres incendies. C’est d’ailleurs à ça que je reconnais une bonne clé : ses possibilités sont vertigineuses, comme celle qui consiste à écrire une première phrase au passé simple et à continuer au présent, véritable Sésame, pour moi (merci f).


La tentation de la proposition #30 ( Muñoz Molina, fractionnement et expansion): utiliser les lanceurs du bouquin d’Antonio Munos pour chapitrer mon travail en cours, les renseigner tous, je parviens (grâce au rythme de l’atelier) à l’écarter. Je m’étais appuyé il y a deux ans sur une proposition (autour du corps…) pour inventer le chapitrage du Voyage d’Osmin. Gros travail courageux et extrêmement utile, même s’il avait fallu retravailler ça comme le reste pour Faire un livre. Là, c’est différent : subjectivité extérieure, imposée, bien pratique, oui, mais je suis trop avancé dans la trilogie Sauveterrepour la faire rentrer dans les lanceurs d’un autre. Le gros atout de cette proposition c’est de faire l’épreuve que tout est sujet à écrire, mais avec le Journal d’un mot, c’est d’ores et déjà une réalité quotidienne.


Ayant accumulé un certain retard dans l’atelier, je reprends cinq propositions d’un coup. Je les ai écoutées au fur et à mesure qu’elles tombaient, sans rien noter. Accepter que les idées vont me filer entre les doigts, tandis que d’autres resteront attachées on ne sait comment. Ce matin, je note pour chacune un plan d’écriture :

#40JOURS #33-inquietude-effroi :

des situations qui se concluent par la mort, par la fin. Certaines abruptes, d’autres industrieuses. La conclusion, toujours annoncée en termes cliniques, en parlé gendarme, police ou militaire.

#40JOURS #34-ce-netait-pas-reel :

un parallèle au Récit. La montagne, la rivière, la nuit.

#40JOURS # 35-batir :

prendre appui sur la carte des chantiers/#40JOURS #08 | Mondes anciens. Cette ville qui ne cesse de s’étendre, c’est celle que constitue mon écriture. L’augmentation de Sauveterre grâce à la collaboration avec Will.

Mais aussi les dédémollisseurs, les minutes de propagandes contre la démolition.

#40JOURS #36-aux-morts :

continuation de Chantier la conversation de café 2018 et de la #16 Boire des paroles . Une opportunité pour écrire dans la suite de Will sur l’église de Sauveterre, sa nécropole, son parvis témoin.

#40JOURS #37-pelerinages

Pèlerinage Normand Lalonde. Jeu des rencontres entre le monument à Ruibet et Gâtineau et l’aéroport homonyme.

Une ouverture pour le Squat Sang noir : le danger des pèlerinages dans les rêvoyages. Leur profond cryptage. Les secrets de l’enfance ou de l’adolescence. Choses infimes que seul.es peuvent partager les fratries, les conscrit.es. Exactement de la teneur des écrits de Will pour une bonne partie de ses #40JOURS (voir La Porte de Sauveterre, entre autres)

Maintenant il y aura les heures matinales de piscine de mon compagnon et les après-midi au plan d’eau pour suivre le plan…

Écrire l'été
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