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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

Histoire d'un visa


©Lia Giraud



Depuis trois ans, l’incessante question de la légitimité. Au cœur du Café Europa, comment peut-on parler, nous si Gadje, au nom des Rroms ? Nous, si sédentaires, si livresques, si… ou tellement peu libres ? Anciens ? Inscrits dans une culture ?… Quelque chose gêne jusqu’aux entournures de nos costumes — trop apprêtés ? Propres ? Ternes ?...

Légitimité de paroles encore fragilisée par les mises en garde imprécatoires d’Henriette Asséo : « Pas de généralités offensantes/bien pensantes — comme si nous avions fait tout ce chemin pour en arriver là —, pas d’erreur historique, politique, géographique — comme un de ces points faisait l’unanimité chez les historiens, chez les Rroms… — ». Même l’Encyclopédie Universalis avoue un taux d’erreur de 8 %, mais nous, les chevaliers blancs du théâtre engagé, nous endossons cette injonction d’irréprochabilité avant même de monter en scène.

Nos lectures, nos recherches ont fait exploser la liste des clichés — si… tellement peu… — que nous opposions à la liberté de dire au nom de. Il n’y a pas de portrait type qui soit fidèle à plus d’une personne. Il n’y a que les carnets anthropométriques pour croire le contraire et hélas, ceux-là n’ont pas disparu.


Une gêne demeure.

Je me demande aujourd’hui comment elle pourrait demeurer dans le cadre de scène. Là où je m’autorise à jouer une vieille femme, une enfant, un caillou, une poétesse russe ou un arbre, je ne pourrais pas jouer une femme rom ? Parce que « jouer » implique une signalisation d’opérette pour les Tsiganes (ô Carmen) ? Parce qu’on ne peut plus « jouer » avec des sujets sérieux ?

Nous en sommes arrivés au point où, obsédés par notre besoin d’objectivité, nous en sommes devenus les objets. Cette obsession, qui n’est en fait pas la nôtre, mais celle d’un grand usurpateur, finit par nous réduire au silence. À l’intérieur même de notre propre gueuloir… Nous oublions que nous y gardons la règle, ou l’absence de règle, et non l’inverse. Comme des espèces rares et sauvages qui se rendraient de leur plein gré dans des réserves. Pour y mourir en toute sécurité. Lentement, mais sûrement.

La question du noir des costumes est revenue sur le tapis de jeu. Si révélatrice. Blandine dans ces beaux habits multicolores fait « trop ». Pourtant cela fait un moment que je regarde les femmes rroms, à Paris, en Bulgarie, à Saint-Étienne… Jamais de noir. Des superpositions, souvent audacieuses, mais cohérentes — Liberté d’enfants dans ces superpositions : j’aime ce châle et cette jupe et ils sont miens, c’est une unité de style bien suffisante — Souci d’élégance, de confort, mélange d’économie et de bonne fortune, comme dans d’autres vêtures…

Et pourquoi pas des habits de fêtes pour la scène qui est une fête — et je regarde les photos de Jeannette Gregori et le travail si coloré de Lia Girau —


Cette flagellation des acteurs : qui sommes-nous pour représenter une communauté passablement stigmatisée ? Ou comment la précaution tue le geste, la joie. Le politiquement correct nous mord au mollet et empêche le voyage. Le retarde tout du moins. Nous sommes en chemin, dans cette attente de visa.

Écrire l'été
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