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ÉCOLES, journal

  • Photo du rédacteur: Emmanuelle Cordoliani
    Emmanuelle Cordoliani
  • 8 mai
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 juin



CNSMDP/ Automne 24, Photo : Caroline Dubost.
CNSMDP/ Automne 24, Photo : Caroline Dubost.
juin 25

Blasons

Des corps petit à petit

Les mains (1)

La question des mains revient sans cesse sur le tapis de danse. Qu’en faire ? me demande-t-on. Comme si elles étaient un appendice extérieur, un animal de compagnie mal dressé. Récemment, Franck Leguérinel a formulé que leurs gestes parasites empêchaient un autre geste de se produire. Un geste qui serait, selon moi, le « vrai » geste, celui de la rencontre de l’interprète avec le double texte (poème et partition) et non la petite histoire de la rassurance de la technique vocale. C’est la meilleure piste à ce jour. Il faut trouver comment la mettre à l’œuvre. Ce matin, dernier rendez-vous de l’année avec les élèves de License I. Nous avons mis les mains au travail des mains. D’abord en écrivant la séquence de leurs mouvements à notre insu, ces gestes qui accompagnent la voix et non la musique ou le texte. Et également ceux qui n’accompagnent même pas le geste vocal, mais plus simplement l’angoisse concomitante. Ensuite, nous avons pris le temps de considérer ces extrémités. Les mains témoignent à nos yeux de nos changements d’âge ou d’état, plus implacablement que ne le fait notre visage, que nous ignorons sans la médiation du miroir. Nous les avons pesées l’une dans l’autre, étreintes, observées recto et verso, évoqué leurs ressemblances avec des mains familières et familiales… et puis la séquence des gestes parasites a été reprise, en fredonnant, avec ses mains plus puissantes, mieux connues. Après quoi, chaque élève a appris à un autre sa séquence en le manipulant. Chacun a pu se voir dans ce miroir décalé/les gestes parasites dans le fredon deviennent une forme de chorégraphie. Les mains pèsent plus lourd. Nous avons essayé différentes manières de mener leur geste : à la française (par l’index) et à la japonaise (par le petit doigt et l’extérieur de la main). Nous avons alors repris l’exercice de la pesée, une main se pose sur une main support, mais entre deux personnes. Cette poignée de main, il a fallu renoncer à ce qu’elle se développe (les yeux dans les yeux, le sourire…) pour rester concentré sur la sensation précise (les os, les muscles et enfin la peau). Je développerai ailleurs, mais je constate que le renoncement reste une piste majeure de l’enseignement du jeu. Dans ce même cadre restreint, nous sommes passés à l’accolade. C’est une promotion assez unie, facilement portée sur l’embrassade, mais c’est là encore la précision du contact, la prise de l’empreinte de l’autre par les mains qui importaient. Quand les corps se séparent, quel souvenir reste dans la main ? Une omoplate ? La chaleur de la chair ? La tension d’un muscle… Bénéfice de l’exercice : après une heure de cette réflexion en acte sur la main, j’ai associé deux extraits du Wen Fu de Lu Ji (263) à des séquences de gestes et de fredon. Le premier poème portait sur l’inquiétude.

Je leur ai demandé de formuler une inquiétude, à la manière des deux premières strophes du poème L’Effroi :Je m’inquiète que mon encrier se retrouve à sec,

de ne pas trouver les mots justes.

Formuler l’inquiétude dans un cadre nommé nous permet de la regarder comme nous regardons nos mains agir, vieillir, étrangères presque (Louise a dit ça), prises encore dans l’étonnement de la toute petite enfance. Les élèves ont repris des trois séquences de gestes, des poignées de main avec le seul souvenir de la main de l’autre, le fredon pendant que je disais L’Inspiration et puis L’Effroi. J’ai repris la strophe de l’encrier, j’ai ajouté une ligne d’inquiétude et les leurs sont arrivées, l’une après l’autre, triviales ou métaphysiques, mais simples. Sans que leurs mains les entravent.

 

Je m’inquiète que mon encrier se retrouve à sec,

de ne pas trouver les mots justes.


Je veux répondre à l’inspiration

de chaque instant.


Faire avec ce qui est donné ;

ce qui est de passage

ne peut être détenu.


Les choses se meuvent dans l’ombre

et disparaissent ;

le souvenir revient en un écho.


À l’arrivée du printemps

nous comprenons pourquoi

la nature a ses raisons.


Les pensées naissent du cœur,

portées par la brise et la langue

trouve qui la parlera.


Les boutons d’hier

sont les fleurs de ce matin ; nous dessinons

au pinceau sur la soie.


Tout œil reconnaît un motif

Tout oreille entend la musique au loin.


Lu Ji / L’effroi

Mai 25

Comment s’en sortir ?

Trésors de guerre, butins et lauriers


Alors qu’il interprète Hamlet dans la mise en scène de Patrice Chéreau, on demande à Gérard Deshartes ce qui lui semble le plus difficile dans le rôle. Il répond : « Descendre mes poubelles le matin ». Et en effet, continuer à vivre loin du plateau, loin du groupe d’Argonautes que constitue une distribution, même épouvantable, encaisser le décalage spacio-temporel entre la scène et la vie quotidienne, puis se désaccoutumer des endorphines, réclame une forme de discipline, voire de philosophie, qui participent à la construction de l’interprète. Pour faire expérience, il est indispensable qu’un temps de réflexion, de rangement, soit dévolu à sortir du spectacle. Or ce temps manque, même à l’école. Le démontage de la scénographie et de la lumière, le lavage des costumes, le stockage ou le retour des accessoires prêtés, offre un modèle de méthode. Il importe de conserver soigneusement ce qui va resservir. Le trésor de guerre est collectif. Le butin est ce qui est pris individuellement et je demande aux élèves de le renseigner. Les lauriers tentent de retracer les apports des uns et des autres à l'élaboration de la dramaturgie.


Une Revue (1830-1930)


Ville-D'Avray, Photo : Caroline Dubost
Ville-D'Avray, Photo : Caroline Dubost
Le trésor

La photo des visages tournés vers le public quand la mort passe sur Ville-d’Avray, les voix des dos tournés à la mobilisation, l’hystérique Refrain du Café,

De Gabriel, je garde l’irruption de la vida loca pour meubler en attendant qu’on lui coupe la parole.

Le petit check avec Angela qui conclut la mise au point du code de jeu du spectacle.

D’Angela, la formidable pugnacité à défendre ce livret perdu et les visages si différents à chaque scène.

De Léonard, la moustache en face à main, la belle voix vibrante pour dire « Chocard, Eugène » à la mobilisation.

D’Agathe, la couronne de royale de sa nymphe, la pluie sur le visage et le florilège d’émotions de son duo d’amour.

De Lucie, l’alliance sacrée avec la robe rouge et la magnifique animalité avec laquelle elle se relève du sol.

De Léontine, l’autorité insoupçonnable au premier abord, l’énergique petite fille, les bas.

De Maria, la vitalité des évocations d’assassinat, la spontanéité renouvelée de ses interventions au Chat Noir (Mais non ?!), le hautbois et l’hyperventilation de L’Idylle.

De Pierre, le beau regard sur Ville-d’Avray, digne de Corot lui-même.

De Sarita et Thibaud, le sérieux d’un tango.

De Carla, le mort, la gouaille du gosse, la distinction en dépit de tout ça.

De Sofiane, le savoir-perdre à la mobilisation, à l’aveugle, au retour d’Amérique (Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre).

De Simon, la joie pure à danser et la chaise vide.

De Toni, la maturité du scepticisme et l’inscription exacte dans la foule de la valse.

De Hardy, la combativité à devenir un genre idéal et l’abandon à la vie après la mort.

De Maxime, l’entrain débridé des cantinières buissonnières de 70 et de la petite Paillette.

De Maïa, un sourire aussi large que son chapeau de paille au pique-nique.

De Junny, les édifices batailleurs et la fidélité (l’attachement ?) à un projet terriblement français.

De Lise, l’inscription si juste dans chaque tableau, la cravate nouée au cou de Sofian, la serviette d’ombres du Chat Noir.

De Matthieu, l’entrée à 4 h du matin pour voir les nymphes, au diapason de Caroline, le piano-panic de l’octuor, le goût du Drame.

De François, le beau médium de l’étonnement à la proposition de la nuit de Malvina, le tambour battant du Chat noir et la dernière valse sur un fil avec Maria.


Le butin de la chose apprise

François : j’ai appris à ranger mes affaires pour me changer plus vite : j’ai aussi appris à me changer plus vite.

Carla : Peu de temps mais les bonnes dispositions. Apprendre à mourir

Maria : Ce n’est pas grave de pas tout comprendre, en tant qu’interprète et en tant public.

Agathe : Très marquée par le duo avec Léonard dans la mauvaise introduction. Pas d’oreille absolue. Laisser mon corps parler le langage musical.

Toni : Lekeu. Faire partie d’un groupe, la masterclasse de danse.

Léontine : A quel point on peut faire bosser le public.

Léonard : L’accent gendarme. Oh tu fais bien l’accent. Porter la voix.

Angela : Mon texte et un éléphant en ombre chinoise

Hardy : Cette expérience m’a vraiment permis de découvrir le travail en troupe, dans toute sa richesse. J’ai appris à collaborer avec d’autres, à écouter, à trouver ma place, mais aussi à réagir en temps réel, à improviser, à rester souple face aux imprévus. Sur un plateau, rien ne se passe jamais exactement comme prévu, et c’est justement là que j’ai appris à m’adapter rapidement et efficacement.

Matthieu : On peut donner plusieurs emplois à une voix de contre-ténor et construire un personnage ad hoc pour lui donner corps et se sentir en phase avec lui, dans une forme de « bien » être.

Le butin de la chose comprise

François : Pour jouer sur scène, il faut jouer avec ce qu’on a sous la main : et parfois les mots ne sont pas ce qu’on a sous la main ; et que le plus souvent le meilleur qu’on a c’est ce qu’offrent les autres

Carla : On ne juge pas sur une première lecture. Ma première réaction aux cantinières. On ne trouve pas seulement des solutions, mais aussi des trésors.

Maria : J’avais une difficulté à juger ce que je faisais. Un rôle ni sérieux ni ridicule.

Agathe : Répéter (dans tous les états), viser à nouveau, c’est toujours utile.

Toni : J’ais les ressources pour enchaîner plusieurs gros projets.

Léontine : Un spectacle est une bête vivante.

Léonard : On ne sait pas ce qui va marcher. Pour un spectateur de mes amis, le point fort du spectacle, c’est le précipité (ma phrase en retard…).

Angela : Si on solidifie bien des scènes précises, ça bave sur le reste de l’œuvre.

Hardy : Je peux avoir confiance dans le collectif : une troupe peut porter, soutenir, faire grandir. Et, peut-être plus important encore, j’ai réalisé que je pouvais aussi me faire confiance. Que je suis capable de tenir ma place, d’apporter quelque chose au groupe, et d’évoluer dans cet environnement parfois instable mais toujours vivant.

Matthieu : Sur scène j’ai besoin des autres, de leur regard, du contact de leur corps, de l’interaction verbale et physique qui donne sens. Chercher souvent à reproduire l’événement qu’est la scène, puisqu’aucun enseignement ne remplace celui de la présence sur scène et du projet artistique personnel.


Le butin de la chose qui reste en travail

François : J’ai un peu appris à découvrir autre chose en moi sur scène que le pitre ou l’enfant ; c’est le début d’un certain travail

Carla : Laissez Carla au vestiaire. Plus de temps à observer, à écouter les autres.

Maria : Donner plus d’importance à ce qui entoure la musique et qui n’est pas la musique.

Agathe : La patience à mon égard.

Toni : Se faire violence et être cruelle avec le public. Ma réaction face à un partenaire qui perd son texte.

Léontine : Garder une bonne qualité de présence. Être une coquille pleine.

Léonard : Mieux gérer la frustration de la conciliation entre la technique et l’émotion.

Angela : Placer correctement ma voix quand je chante, et jouer la comédie.

Hardy : Plus je participerai à des projets collectifs comme celui-ci, plus je développerai ma capacité à évoluer en groupe, à m’exprimer avec justesse, et à grandir artistiquement.

Matthieu : Réfléchir au projet artistique personnel. Savoir où, comment et pourquoi donner de la voix. Trouver la voie.


Les lauriers

Le tableau patriotique

Travail préparatoire Cantinière, Victor Duclos    (mars 25)
Travail préparatoire Cantinière, Victor Duclos (mars 25)

Quand les élèves ont compris en lisant les critiques que la Chanson de la Cantinière avait été le clou du spectacle, ils n'ont pas fait mystère de leur embarras. Un tableau patriotique : sauve qui peut ! Je les avais précédé dans cette crainte et mon premier mouvement avait été pour couper ces neufs couplets encombrants. Mais je me méfie de ce genre de débarras. Les entendre exprimer aussi franchement mes doutes honteux ,m'a mise au travail avec une ardeur renouvelée. Non pour prouver quoi que ce soit, mais grâce à la certitude que nous passions à côté du sujet. DU sujet. Ainsi, les réserves exprimées franchement sont souvent plus prolifiques que les silences entendus. Et les tableaux de la Cantinière (nous avons divisés les 9 couplets en deux parties) ont été les clous du spectacle : une réflexion agit sur le temps.


Le Chat noir

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C’est François Sagot qui a fait consister le tableau du Cabaret du Chat noir. J’avais partagé avec les élèves la trouvaille des Souvenirs de Maurice Donnay sur le sujet. J’y avais retrouvé à mon étonnement un poème entendu dans une mélodie d’Isabelle Aboulker et que je croyais d’elle. Je demandais à François de monter la mélodie, ce qu’il fit avec l’entrain et la précision qui le caractérisent. Très vite il a constaté des divergences entre les textes et puis il m’a sorti de son chapeau la compositrice Marie Krysinska, inventrice du vers libre et femme centre du cabaret. J’ai écrit le rôle pour Lise et en un tournemain, l’ensemble disparate tenait ensemble.




 Avril 25

Du pareil au même

Enseigner à des adultes.

Au CRD le groupe est disparate, bien que, par certains côtés, plus uni que les promotions du CNSM. Il bouge et s’accommode plus rapidement, plus facilement par exemple. La cohésion au plateau est plus forte. La joie du nombre, d’être là, nombreux à jouer, également. Cependant, il y a là des âges, des niveaux et des ambitions hétéroclites, et si je crois tenir une place stable dans une distance juste avec les élèves du CNSM, ni tenue, ni lâchée, je ne sais pour l’instant pas clairement où me situer au CRD. Je n’enseigne qu’à des majeurs, mais j’emploie le terme « adulte » pour ceux et celles des élèves qui ont parfois une vie professionnelle bien établie loin du domaine où j’exerce, qui ont fait d’autres études, qui peuvent avoir une famille où ils ne sont plus l’enfant. Mon premier réflexe est très direct : on ne va pas se tirer les cartes entre Gitans. Cela s’accentue encore avec ceux des élèves qui enseignent par ailleurs. Quand bien même ma discipline leur est étrangère, mal ou nouvellement connue, je me plais à croire que mon geste pédagogique, lui, ne peut pas leur échapper. Quelle ironie ! Quand je n’ai de cesse de les inviter à la plus grande méfiance quant à ce qu’on se plaît à croire, à penser, à faire, à conserver… Cette complaisance qui fait si bien oublier qu’un autre est là, ce public, dont nous sommes responsables, dans une relation qui est tout sauf symétrique. J’ai voulu croire qu’être adulte ou enseigner pouvait être un terrain commun, une île au milieu du fleuve où nous pourrions nous arrêter à pied sec, de temps en temps, pour échanger et construire. Mais quand bien même cela finirait par être envisageable, pendant une période assez longue il n’y a qu’une seule place pour apprendre, un endroit où l’on n’a pas pied, où l’on ne voit que l’eau et pas le corps qui bouge dedans. C’est moi qui regarde. J’ai toujours aimé cette place, être là pour voir ce qui advenait. Elle a un prix de solitude. Cette espérance d’une île, pendant quelques mois au CRD dans la compagnie des élèves adultes, c’est un détour de plus pour oublier que la longueur d’avance ne peut être rattrapée, quelle que soit le désir ou la qualité de qui part plus tard. Oublier qu’Achille selon toute logique ne rattrapera pas la tortue.

 

 

 

 

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