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  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’HIVER XX



De quoi les fêtes sont faites :

Quelques petits textes idiots pour Papageno, enfin pour Pierre-Yves Cras, dont la vis comica n'est plus à prouver et qui chantera le rôle dans le programme du 17 janvier à l’opéra de Massy, CNSMDP hors les murs avec la classe de direction d’orchestre et Mikko Frank.

Mesdames et Messieurs bonsoir. Je m’appelle Papageno et je suis victime d’une erreur judiciaire. (Les 3 Dames qui l’entourent soupirent). On veut m’empêcher de parler, mais la vérité triomphera. Je suis né ici et j’ai des droits. Ce qui n’est pas le cas de ce type qui prétend être Prince et dont on ne sait pas grand-chose, excusez-moi. Je ne le connais pas, il m’a interpellé en me remerciant d’avoir tué un présumé serpent. (Les 3 Dames lèvent les yeux au ciel). Enfin, je crois, vu qu’il parle dans une autre langue qui n’est certainement pas celle des oiseaux. Là-dessus, j’ai fait un signe de tête parce que j’avais besoin de me moucher, (Les 3 Dames étouffent un petit rire), ce qui est légitime par le temps qu’il fait et depuis on m’accuse à tort d’avoir menti sur cet exploit. Mesdames et messieurs, aidez — moi, on veut bâillonner l’innoc…. (Les 3 Dames lui ferment le bec)

J’ai déjà noté ici combien j’aimais, parce que c’est facile, écrire pour une personne précise ? Oui. Mais, je tire seulement les possibilités quasi illimitées de cette facilité, comme les marrons du feu de l’hiver : je peux écrire pour qui me plaît, y compris à son insu. Je peux écrire pour Robert Mitchum comme pour Philippe Lardaud. En l’occurrence, j’ai écris pour Pierre-Yves dont le bon naturel et la vis comica m’enchantent. Papageno sera l’agent de liaison de la programmation disparate (Flûte enchantée, Fledermaus, Enlèvement au Sérail).


Quelques papillotes piochées pendant mon séjour aux montagnes auprès de mon grand-père Marcel, fournisseur officiel. Certaines sous forme de déclarations unilatérales :

Si les souris préfèrent les livres de cuisines, c’est parce qu’ils ont été feuilletés par des mains grasses.

D’autre sous forme d’échanges :

E : Alors, qu’est ce qu’il dit, le Président ?
M : Comme d’habitude. Il est content.

Ou

M : Parfois, ils remplacent la truffe par des trompettes de la mort.
A : Et ça a le même goût ?
M : Oui : un goût de champignon.

Cette année, une nouvelle variété de papillotes est apparue, dans laquelle Marcel fait figure d’homme-muse et sa vie de nonagénaire des montagnes, de Légende dorée :

Le village est sous la neige et Marcel, sous morphine.

(Qu’on se rassure, rien de grave : « ça va encore passer pour cette fois » dit-il, comme si la mort était le censeur du lycée où il apprit les chiffres, ou peut-être davantage, une question de manœuvre avec sa déesse break dans une rue étroite…).

J’ai continué à prendre des notes sur son enfance : il est de plus en plus précis à ce sujet. Il m’a donné un guide pour écrire paru dans le Pèlerin (comme chaque année), je l’ai suivi docilement, parce que je vois bien que ça crée un cadre rassurant. Mais assez vite je profite éhontément de sa cataracte (qu’il refuse de faire opérer, parce que c’est une vieille tête de mule trop habituée à l’adversité…) pour ajouter des questions de mon cru.

Il y a de petits moments Sarraute. Quand je demande de qui il était le plus proche enfant, il répond « de ma mère » comme à regret, en inclinant légèrement la tête vers son épaule. Elle a disparu de la circulation pendant de nombreux mois quand il était encore petit : elle avait la tuberculose et s’en était allée se faire soigner à Évian. Je ne sais pas trop ce que je ferai de ce matériau. Son objet principal pour l’instant réside dans notre échange.


Je n’ai pas avancé d’un pouce sur la finalisation du Journal d’un Mot An IV et voilà que l’an V est reparti de plus belle. J’ai cependant changé de braquet : le Carnet des Jours suivants alimentera les prochaines éditions du JDM (et réciproquement). Je mets tout dans ce carnet, et je trie ensuite. Pendant la période des fêtes, la tentation est très forte de repasser au papier. Peut-être parce que mes souvenirs d’écriture les plus anciens sont liés à la neige et à la nuit tôt tombée… Peut-être aussi parce que ses jours brefs invitent à ralentir. Comme l’héroïne du conte, je finis par marcher un pied chaussé et l’autre nu : je prends des notes manuscrites et j’augmente en les saisissant… Quand je me souviens de ce qu’elles veulent dire. J’ai récemment retrouvé une page cryptique datée d’à peine trois semaines, de notes prises en vue de répondre à l’une des propositions du cycle Enfance du Tiers Livre, mais laquelle… ? Je me laisse faire par tout ça à présent. Je vois bien qu’en forme d’inquiétude à disparu, mais le plus étonnant, c’est de m’en passer aussi bien !


Le travail le plus important de cette fin d’année aura porté sur la compilation des textes du Smalldog Campus. Lui trouver un titre, déjà, et après un grand détour je suis revenu à la simplicité de ce que je dis de ces textes, qu’ils sont des « histoires de campus et de petits chiens (et parfois je dis ça, “je vais écrire une histoire de campus et de petit chien, tiens”, comme d’autre vont acheter une tortue pour se détendre, ainsi que le le déclare Cluzet dans Association de Malfaiteurs). Après ça, la relecture de ce mince ensemble (une trentaine de pages) m’a donné l’occasion de me pencher plus avant sur une façon de faire qui me turlupine depuis plusieurs années : une façon que j’ai de faire cohabiter le présent et le passé dans un même texte, dans une même phrase. Et de l’accepter. Là encore, il y a eu un long détour, sous des branches vertes avec lesquelles j’ai vivement flagellé mon incapacité à choisir entre le passé simple et le présent de l’indicatif, une temporalité qui exclurait l’autre… On trouve déjà des traces de ces boucles de culpabilités et de leurs résolutions dans le Journal d’un Mot, Ans [I-III] :

On me l’a dit tant et tant : mettre en scène c’est choisir, écrire c’est choisir…

oui, oui, et j’ai cru (patate crue, vraiment) qu’il s’agissait de choisir entre le lapin et la route, entre Pierre et Paul qui se déshabille, entre le formatage et le dessert (et probablement c’était là le triste enseignement qu’on tentait de me fourguer comme une voiture à loup sur le parking un peu isolé de la paresse intellectuelle), mais je suis grande à présent et j’ai choisi de faire avec les lapins, les carrefours, la route. De toutes et tous les asseoir autour d’une même table de travail, parce que ce n’est pas bien raisonnable.

Mais j’imagine que je ne peux pas faire l’économie de cet éprouvé, quand bien même il semble répétitif, dans le passage d’une pratique scénique à une pratique littéraire. En dépit de leurs nombreux points de contact et d’adhérence entre ces disciplines, leurs apprentissages ne peuvent se substituer l’un à l’autre. Smalldog Campus recense les souvenirs d’un ancien élève. Le passé simple dans lequel j’ai d’abord écrit les textes conférait à l’ensemble un petit air de David Lodge, qui me plaisait. Il venait renforcer une certaine nostalgie : je n’ai jamais vraiment aimé David Lodge, mais la personne qui m’a offert les livres que j’ai lu de lui, je l’ai beaucoup aimée. Cet ami très cher m’avait ouvert les portes de l’école où je travaille de puis plus de vingt ans à présent, et depuis son décès, j’imagine que son fantôme va et vient par ici. Ce tribut établi, le passage dans mes textes à un présent majoritaire est salvateur… y compris dans ses rencontres chocs avec les autres temps :

À l’université, j’ai été son assistant, si on peut dire : elle m’a mis le grappin dessus dès le week-end d’intégration avec une proposition augurant du meilleur…
En réalité, elle me paye de loin en loin, sans qu’il soit possible d’établir la moindre suite logique, et ne parlons pas de budget prévisionnel. Tout à coup, au milieu d’une phrase ou d’un cocktail, elle me regarde comme si elle me voyait pour la première fois et sort une poignée de billets de la poche de ses grands pantalons de l’armée des Indes, en s’excusant d’être aussi peu rigoureuse. Mais le plus problématique avec Wamps, n’aura pas été l’argent…

Pour finir, je dois mentionner et remercier Catherine Serre, poète et amie, qui m’a donné un sacré coup de main avec un commentaire touffu et un peu obscur au sujet du texte La Maison malade, qu’elle a ensuite éclairci au cours d’un long échange. Il en ressort trois éléments essentiels pour ce projet particulier, comme pour ce que j’écris de manière plus général :

  • Une facilité heureuse à l’hors-corps par le corps dans mes écrits et particulièrement saisissante dans ce ce texte : 

La maison est malade. Elle bouille du dehors et dedans glacée. La pluie brûlante coule par le toit du grenier sur les malles et les bobos, tout carton-pâte, coule le long des murs verts et brouille les visages sur les photos, qui est qui ? On ne voit plus avec les paupières en gros rideaux trempés. La maison vibre de la fièvre, l’écran saute, les murs tout minces laissent passer les voix de colères et d’inquiétudes…

Catherine commente : « (cet hors-corps) semble te permettre un point de vue où la description est au service du mouvement (du texte) en restant dans l’avancée… » C’est une surprise pour moi, d’une part parce que je redoute le manque d’action, d’intrigue et donc de mouvement dans ce que j’écris, d’autre part (vivons le paradoxe) parce que je me sens incapable dans l’art difficile de la description.

  • Une tendance à recréer une distance avec la gravité de ce que j’apporte par le recours à l’interjection, à l’appel à témoin — dialogue sans réponse ou sollicitation du lecteur — qui peuvent entraver cet élan au final. Elle n’est pas la seule à remettre en question mes pirouettes, mon usage de l’oralité pour dégager le lecteur (et moi par la même occasion) des conséquences sérieuses de ce que j’ai avancé. Je ne compte pas pour autant renoncer au maniement de l’ironie, de l’humour, mais je peux encore affûter ces outils, en n’oubliant pas qu’ils travaillent d’abord à une forme de grâce, plutôt qu’à m’ouvrir une porte dérobée. Et puis je peux également y renoncer, parfois, notamment dans les textes sur l’enfance. C’était d’ailleurs le projet d’une série de textes engloutie par l’avarie du dernier ordinateur : Tâcher l’enfance, qui ne réunissait que des souvenirs précoces sans photo ni récit d’un tiers, chacun n’excédant pas deux ou trois lignes au grand maximum.

  • Je ne suis pas faite pour travailler seule. Ou plutôt : j’aime la solitude, mais il est temps d’ouvrir la porte pour aller quelque part.

Écrire l'été
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