top of page
  • Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

ÉCRIRE L’AUTOMNE XXI




Courrier d’élection :

J’ai reçu une nouvelle lettre en papier. Je comprends après coup que l’envoi postal du Journal d’un mot (service personnalisé en mode collector réservé à ceux et celles dont les contributions dépassaient 50 euros et que je n’aurai pas la joie de croiser avant la publication du Journal d’un mot An 4) provoque cette apparition d’enveloppes matérielles dans des relations épistolaires qui jusque-là se contentaient d’échanges par mail, ou message. Et justement, la lettre d’Agnès Brugier, répond à une question que je lui posais dans mon dernier mail (comment va ton jardin ?) par un poème dactylographié sur papier libre, à côté des pages manuscrites.

Le temps est venu des nuages rouges, de l’été vif et de l’enfance, joues écarlates.


L’air a goût de paille Et dansent sur les robes les gentils coquelicots mesdames des souvenirs lointains


Le temps est venu de la Pavane des grandes soifs sur l’orbe de Gaïa fragile


L’enfance foule d’instinct l’humus de feuilles pêle-mêle. Et de cette peau


retournée du sec, qu’elle sème, pleut et soigne de ses doigts magiciens


s’élève un jardin lent aux odeurs de girofle et aux espoirs violents


Suivent des oiseaux plumes : Pavane d’échevellement d’ailes sur le grelot des fleurs


Agnès Brugier / La pavane du sec


Elle apporte par ailleurs une nouvelle pierre à la grande maison Sauveterre, en confiant un souvenir de traversée de Jonzac dans l’enfance. Il est immédiatement transformé en entrée dans le Carnet :

Elle a écrit hasard avec un -z, à la manière des enfants, pour raconter un souvenir de sa mère. Un feu, au milieu d’une ville inconnue (les deux syllabes de son nom séparées par un -z), un feu au pied duquel leur auto s’arrêtait parfois (sur quel trajet, elle ne le dit pas) et la mère alors disait qu’elle avait habité là, en désignant la fenêtre du premier étage. Et j’imagine que la petite fille zozotait en demandant des détails, ou plus probablement si elles seraient bientôt arrivées (mais où ?) et zou, elles repartaient sans s’arrêter plus longtemps.

Il est fort possible qu’à terme, ce souvenir, dévoyé par mes soins, intègre l’Archive Sauveterre. Mais ce ne sera pas là son seul destin : je l’ai immédiatement envoyé à Will qui se retrouve à enquêter en envoyé permanent dans les murs de Jonzac quant à l’emplacement exact du feu et de l’étage évoqués. Nous sommes convenus il y a longtemps que le passage de Jonzac à Sauveterre se faisait par les Galeries noires, mais ces allées et venues de la ville existante en chair et en os à l’autre, parallèle, œuvre de l’esprit d’Émile Gaboriau, ne cessent de m’enthousiasmer.


De Will, j’avais reçu voilà déjà trop longtemps, un long message qui dans le brouhaha de la rentrée parlait clair, me rappelant où était le travail (pas toujours ni forcément là où l’emploi nous appelle, bien que je sois assez heureuse dans ce domaine, étant peu exposée au grand écart que connaissent nombre de mes coreligionnaires). Le lisant, j’aurais voulu sauter dans un train et retourner à la terrasse de l’éléphant rose sur le flanc (voir ÉCRIRE LE PRINTEMPS VIII) pour dresser le plan de campagne des mois qui viennent.

Il propose de finir le Cycle Roman avant de se coller à la relecture. J’attends de mon côté que le cycle roman se finisse, en prenant péniblement des notes pour plus tard dans le coup d’été permanent de la rentrée et de la nouvelle charge de cours. Là où je le rejoins, c’est que la fin de ce cycle marquera le début d’un nouveau moment de travail. En tout cas, je compte m’appuyer dessus, me fixer cette limite. Après, je tremble un peu aussi : j’ai commencé à remanier sérieusement le chapitrage du Sérail cet été et je me suis arrêtée en cours de route, faute de temps. J’ai peur de ne plus rien reconnaître de ma fameuse idée quand je vais m’y remettre… Je fais de moins en moins confiance à ma tête. Pourtant, pour certaines choses (je le vois quand j’enseigne) c’est pas si mal rangé là-bas dedans. Récemment, je suis retombée sur le Journal d’écriture d’Oedipe sur la route, de Bauchau. Six ans. Prends-en de la graine et relis ta somme de chapitres, va.


Sur le blog du Tiers Livre un commentaire de Marie-Thérèse Perrin sur le Carnet des jours suivants met dans le mille à bien des égards :

Tu t’amuses bien avec ces notes de carnet à la suite du Journal d’un mot dans lequel je picore, je corne, je souligne en traits verticaux. Cela me donne une indication de ce qui est possible d’écrire dans ces espaces ouverts et cloisonnés que sont les plateformes numériques. Tu as le « talent » (peut-être à ton insu) de glisser des portraits vivants, mais pas trop vitriolés dans tes paragraphes, juste un peu moqueurs et dubitatifs. Je sens ton habileté à ménager la chèvre et le chou et surtout à exercer ton pouvoir avéré d’orchestration des situations et des scènes prélevées. Tu restes donc du côté du manche question interactions entre ton imaginaire et celui des autres. J’ai découvert cette histoire de bistrot (?) grand-parental, dans lequel petite fille, tu étais probablement à l’affût de toute la Comédie humaine… Tu as engrangé pas mal de choses et c’est ce qui m’explique ta propension à rester fine observatrice et un peu taiseuse sur tes pensées plus intimes. Le monde même proche est pour toi un théâtre qui n’est pas que d’ombres. Tes tentatives de poèmes me touchent.


Je n’avais pas encore pensé que publiant d’abord sur Facebook, j’écrivais avec le reste une critique de Facebook. Les polémiques échevelées dans lesquelles cette machine nous lance à tout propos, comme de la vaisselle dans une dispute, ne passent plus par moi depuis quelques années. Je ne m’y livre plus, pourrais-je dire. Je fais même livre du contraire. De la litote et de la tête penchée sur le côté. Un peu moqueuse et dubitative… J’essaie de regarder cette agitation, quand bien même je suis prise dedans. Et là encore, Marie-Thérèse amène justement le souvenir du café. C’est bien là, oui, que j’ai appris à regarder en même temps que je faisais des lignes de l avec leur jolie boucle, de f avec leur petite barre, de a avec leur délicate béquille… L’endroit peut-être où nous nous comprenons mal, cette experte lectrice et moi, c’est que je suis persuadée que mes observations sont mes pensées intimes. Et c’est en écrivant de la fiction que je suis au plus nue. Cependant, pour avoir posé dans ma jeunesse pour les peintres, je sais aussi que ce n’est pas déshabillé qu’on est le plus à nu et je me méfie de qui croit tout dire en disant tout. Qui ne m’ajoute pas me vole… Marie-Thérèse ne m’a pas volée, elle non plus. Je lui dois ce ticket retour pour le bar des Sapins, alors que j’ai perdu tous mes textes de Tâcher l’Enfance lors de l’avarie de mac de janvier :

Tout le long de la vitrine courait un coffrage de bois ajouré qui cachait mal un long radiateur en fonte. Qui avait eu l’idée de le peindre en bordeaux satiné ? Il faisait bon s’y tenir assise l’hiver, pour regarder la neige tomber, mais avant cela, la lettrine inversée sur le verre, qui disait le nom magique du café, son nom secret et illisible, peint en vert sombre et ombrée par endroit d’un vert amande, tandis que sur la tête, le rideau posait un voile de communiante.

Enfin, de Catherine Serre, qui en plus de la tournée de son livre La Maison des Mues trouve le temps de collecter les vidéos de lectures d’extraits du Journal d’un Mot et de m’écrire au sujet d’une entrée du livre, je veux dire qu’elle est épatante (et j’espère qu’elle entendra tout le Léo Ferré qui vit dans cette vibrante salutation). Et décidément oui, on écrit des livres pour se faire une place dans la bibliothèque de certaines personnes et, pour moi, celle de Catherine Serre et François bon, sans doute possible.


Rencontrer des amis :

J’ai vu Xavier Georgin qui m’a parlé de sa chasse à l’éditeur et j’étais heureuse d’entendre certains retours qui lui étaient faits, signalant la justesse et la singularité du texte qu’il a écrit, son inscription dans un moment de notre histoire de gens nés au XXe siècle. Nous avons aussi évoqué le 27 septembre de Christa Wolf, parce que nous étions la veille (dans les deux sens du terme)

en 1935, Maxime Gorki lance une idée, une demande à tous les écrivains du monde de décrire un jour, le même jour dans l’année, le 27 septembre. (Cette adresse aux écrivains du monde n’est pas sans faire penser, dans un autre registre, à la proposition d’Einstein à laquelle Freud a répondu, un peu plus tôt. Était-ce l’époque ?) Après une première phase de succès, la chose tombe dans l’oubli. Puis, en 1960, l’idée est reprise par les Isvestia soviétiques. Cette date est-elle celle de l’anniversaire d’un événement personnel ou collectif ? Rien de tel n’est mentionné par Christa Wolf, mais ce n’est pas une preuve, tout au plus l’indication de tout ce qui reste opaque pour moi dans le livre dont je vais parler. Toujours est-il qu’elle répond à la demande cette année-là, 1960, sans publication du reste, et qu’elle décide de continuer, tous les ans, à raconter le 27 septembre qu’elle aura vécu. Pourquoi ? Elle s’interroge sur ses raisons dans l’introduction à ce qui va constituer le recueil des quarante 27 septembre passés depuis, de 1960 à 2000. Et c’est, finalement, un gros livre.
Encore Christa Wolf : Un jour dans l'année /Jacqueline Rousseau-Dujardin


Il m’a donné terriblement envie de lire le « gros livre », Un jour dans l’année (1960-2000), cet étrange journal d’une seule date par an pendant 40 ans, tout en m’en offrant un autre : des chroniques de Magris dans une belle édition rose. Les chroniques, genre aimé et toujours remis à plus tard, à moins que finalement, ce ne soit ça aussi, le Journal d’un mot… Et justement il m’a dit, faisant mine de craindre d’être mal compris, que c’était un Feel good book, le Journal d’un Mot et on a bien rigolé, le développement personnel et autres fadaises du genre n’ayant évidemment pas cours au sein des ateliers du Tiers Livre où nous nous sommes connus. Il me signalait ainsi que, le lisant, il se sentait proche, il se sentait moins seul à penser à certaines choses, de penser certaines choses et d’une certaine façon. Ce qui donne du cœur à l’ouvrage pour continuer.


Et puis il y a eu le lapin de Piero.

J’ai fanfaronné depuis le Roi du Café, espérant y reprendre une permanence, comme au temps de Toutes les routes : j’avais banalisé deux créneaux (lundi 17-19, mardi 9-11) où l’équipe du projet pouvait me trouver dans un café et se joindre à moi pour travailler sur les aspects littéraires et dramaturgiques (Canterbury Tales) ou logistiques (j’ambitionnais de faire un spectacle conçu et réinventé en marchant entre les lieux où il se jouerait…). C’était davantage un vœu qu’une organisation, cette fois-ci et Piero m’ayant prise au mot, il s’est retrouvé seul dans mon quartier, ce dont il a tiré le meilleur dans son journal. Nous avons remis le rendez-vous et cette fois-ci, il était sur place avec 24 h d’avance. L’espace d’un instant, en lisant ses messages, j’ai cru avoir doublé le lapin de départ, mais non. Balle au centre, nous nous sommes enfin retrouvés entre gens de journaux (Piero aussi en tient plusieurs à la fois) et d’exégèse (il en a fait 1000, cinématographiques des poèmes express de Lucien Suel de mon côté la Fréquentation de Magris par le Danube a momentanément suspendu son cours, avec peu d’espoir de rouvrir le robinet avant le printemps). C’était à l’entrée du métro Laumière, dans le soleil de la fin de matinée, un moment doux et vivifiant, tels que la camaraderie seule propose.


Écrire l'été
bottom of page