Il descend l’escalier don’t la rampe suit le mouvement d’une vague. Sur le palier, il prend son souffle et soupire en descendant l’escalier. Son crâne lisse lui fait un bonnet de bain noir. Il est intrigué par un cliquetis en surface. Il sait bien qu’à cette heure, il est le premier. Qui donc peut donc cliqueter comme ça trois étages plus haut ? Il n’a pas peur — il est aussi massif que les colonnes du bâtiment —, il n’a pas peur — pourtant la question se pose des choses invisibles —, mais ça l’intrigue. Il ne m’a pas vue, assise tout en bas. Je dis bonjour très doucement. Il rit en me découvrant et fait un petit signe avec la main pour doubler son bonjour.
On croit toujours être arrivé en premier parce qu’il est tôt. Mais elle sort de nulle part à l’étage, tablier et chariot déjà en ordre de marche depuis un moment. Mais quel moment ? À quoi ressemble « l’encore plus tôt », je me demande…
Depuis l’étage, le plongeur d’escalier m’adresse la parole. Il me raconte l’échange que nous venons d’avoir. Comment, plongé dans ses pensées, il a été surpris par ma voix parce qu’elle venait d’une autre direction. La distance entre nous, verticale, est comme de l’eau qui assourdit les mots. Nous prenons le temps, le risque de nous faire répéter l’un l’autre.
Turban rose m’avise au premier coup d’œil. Elle disparaît dans l’ascenseur pour réapparaître deux étages plus haut. L’architecture de cette école : maison de poupée pour géants, des couloirs défaçadés qui permettent de suivre tout le ballet du matin.
Un grand corps lourd et tonique, elle descend un escalier. L’escalier vers les tabliers, les produits, le travail. Pour elle, le -1 n’est pas un bassin. Elle passe par là pour aller travailler. Ses articulations savent qu’elle descend, pas son oreille interne. Elle descend à plat, sans vertige.
Deux se suivent. Une grande à turban fuchsia et une petite qui me sourit. Elles m’ont entendue parler avec le plongeur en arrivant. En même temps, toutes les deux. La plus grande toujours devant. L’autre a attaché ses cheveux en chignon. Un gros chignon noir et luisant, serti de petits brillants.
Comme le tablier les change ! Je les vois arriver dans leur manteau et l’instant d’après je les reconnais à peine dans l’éclairage trop contrasté du matin électrique.
Un vêtement de travail. Beaucoup s’enlève avec lui, quand on l’ôte. Finalement, je crois que leur responsable qui n’en porte pas se complique la tâche.
Les deux femmes disparaissent dans l’ascenseur. Elle ne réapparaissent pas plus haut/Je vois jusqu’au troisième étage et le quatrième, je le distingue. Elles sont donc descendues dans les tréfonds.
Sacoche de cuir et preste démarche : l’accordeur.
D’ici on voit bien que le plafond de la passerelle du rez-de-chaussée est rouge. Particulièrement quand un pompier du PC Sécurité passe en dessous.
Turban noir est très couverte. Son tablier noir se fond dans les plissées de ces amples vêtements. Sans son chiffon blanc à la main, je l’aurais crue sur le départ. On dirait un Touareg.
Un journal sur un présentoir à l’accueil : « À la Criée, une saison qui éclaire l’Autre en son sublime mystère. »
Personne, mais le bruit quelque part d’un aspirateur.
Dehors, sans l’effort d’un oiseau, on ne saurait pas que c’est le matin.
Leș personnes qui vivent ici entre 10 h et 22 h ne voient pas celles qui vivent ici de 6 h à 9h.
Dans la journée, seules deux personnes restent pour l’entretien. Il s’en trouve peut-être pour croire qu’à elles seules elles abattent un travail de titans.
J’ai longtemps pensé que l’histoire des lutins qui faisaient le ménage pendant notre sommeil était la verbalisation d’un souhait de prolétaire épuisée. C’est peut-être bien davantage une lecture de la réalité des princes et des princesses.
Ce qui est invisible à nos yeux, on a tôt fait de le ranger du côté du magique.
Le ménage est fait.
Quelqu’un a fait le ménage.
Leș personnes qui vivent ici entre 10 h et 22 h ne voient pas celles qui vivent ici de 6 h à 9h. Et réciproquement.
La musique est faite. Quelqu'un a fait la musique. Qui peut le dire ? De la musique, il ne reste rien.
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