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Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

TÔT 05/07/22




Bonjour, bonjour, bonjour. Robe à carreaux a une voix de petit enfant. Celle Sari qui l’attend, qui les attend toutes en bas, case départ, est profonde et prise dans le matin.

Bandana rouge, vive, devant une fatigue ancienne — il faudra reparler de ça —. T-shirt noir de la boîte, lui, s’amuse à saluer ses collègues en voix de fausset et puis retrouve sa mâle couleur en rigolant. Celui-là prend les escaliers, il ne vient pas souvent. Elles, les ascenseurs, chaque fois que c’est possible.


Il n’y aura peut-être qu’une chose à conserver à chaque visite. Parfois aucune. Quand bien même il n’y aurait qu’une chose à conserver à chaque visite. Je ne sais pas ce que je cherche, hors l’accumulation d’une part, et un point de vue autre (6 h-9 h) d’autre part.


Elle descend l’escalier monumental en s’appuyant sur la rampe. Toujours le pied droit en premier sur chaque marche. Un gros trousseau de clefs dans sa main gauche. Une fois en bas, chaloupe, chaloupe jusqu’à disparaître dans le couloir.


« J’ai arrêté de faire le pompier, il y a une petite dizaine d’années, je ne voyais plus mes enfants. Je continue dans la sécurité.»

Cette explication comptant résulte d’une mauvaise blague de ma part : le voyant passer avec un énorme serre-boulons jaune, je lui ai demandé s’il faisait dentiste en plus de pompier. Avec le bruit, il ne m’a pas bien entendue. J’ai répété sans amélioration et comme il est poli, il a préféré parler de sa vie sans ambages à une inconnue plutôt que celui faire trisser sa question.

Je m’explique après coup. Le serre-boulons ? C’est pour la dame de ménage qui a oublié ses clefs de placard.


J’aurai croisé robe à fleurs in extremis : l’ascenseur se referme sur elle. Elle fait la Danse. Autre partie du bâtiment, autre monde. Je ne suis pas sûre de m’autoriser à y aller. Je passerai par le haut, comme un rat d’hôtel, sans retrouver Robe à fleurs en Terre inconnue.


La cafétéria est encore sens dessus dessous. Telle que nous la laissons (profs, élèves, et peut-être administratifs et techniciens, en dépit de leur air bien sage). Il y a des tables supplémentaires, rectangulaires, étroites. On les amène pour les opérations spéciales. Vote, vente de pulls aux armes de l’école, jour de sortie de La Crécelle… Je me demande bien ce que Bandane rouge va en faire.


Pull rouge rentre chez lui, deux cigarettes impatientes dans une main, son gros blouson sécurité dans l’autre, après 24 h dans les lieux, dont quatre « couché ». Allongé, précise-t-il, en position allongée et pas déshabillé.


Attirée par le chariot de Robe bleue, elle invisible pour l’heure, je me suis retrouvée au bout du bâtiment de la Danse. Retrouvée, perdue… Un peu. Même le sol est différent là-bas, les dalles du balcon recouvertes d’une sorte de lino de caoutchouc gris — probablement suite à des problèmes d’infiltration, ce serpent de mer des grands bâtiments : ça coule toujours quelque part… —. Au retour de cette expédition, je lui tombe dessus au détour de la longue courbe jaune du couloir. Robe bleue, un instant surprise, mais pas effrayée, accueillante comme une maman de conte à l’arrivée inopinée des enfants perdus. Ou plus simplement de quiconque revient.


Ça ressemble à un jeu de piste, une sorte de cache-cache où je tombe sur un chariot, où je suis une voix, un petit chœur soudain de voix très sonores — des hommes, tous en même temps —. C’est peut-être ça, la méthode, marcher sans plan, jusqu’à connaître de l’intérieur.


Quatre arbres ont déjà été coupés dans l’allée du Conservatoire. D’ici, il reste quatre cercles beiges sur l’étendue bosselée des pavés gris et mauves. Ils sont encore là, plus loi, débités dans une benne bleue. Je voudrais trouver une métaphore magnifique, comme celle de Proust pour la lune dans les nuages semblable à l’actrice s’échappant par l’entrée des artistes, mais rien ne vient. Troncs coupés à cinquante centimètres du sol. Quatre. Plus haut dans l’allée, d’autres encore debout, jusqu’à preuve du contraire. La lumière déjà toute changée pour les riverains. Sans les arbres, c’est sûr, on voit mieux le projet architectural. La grande perspective. Mais la seule ombre est minérale, des immeubles sur les pavés.


Bandana rouge me prévient qu’elle ne pourra pas faire les bureaux de l’Orchestre. La serrure est coincée. Elle a déjà averti qui de droit (Jean-Luc ou François). C’est mon carnet qui doit lui donner l’idée que je contrôle quelque chose. Je voudrais seulement être capable de parler des réverbérations aquatiques des baies vitrées sur la cheminée blanche de la salle d’orgue. Jean-Luc ou François attaque la serrure à la perceuse (après vérification, c’est plutôt le hublot de la porte qui a été démonté pour ouvrir de l’intérieur). Bandana rouge, elle, a coincé la porte donnant sur le patio avec un pied de métal. Pendant qu’elle fait les toilettes voisines, l’air circule. Entre les deux, un palmier.


Certaines écoutent de la musique en travaillant. Avec des écouteurs ou, parfois, sans, pas très fort, et on croit voir un petit transistor sur le chariot, alors que c’est un téléphone en poche. Un chante. D’autres parlent comme on chante — quelques instants polyphoniques, bonjour, bonjour… —. Ce matin sur tout ça, les tronçonneuses et les souffleuses de l’allée, les ouvriers des travaux de la médiathèque et une sérieuse altercation dans un bureau du bas, porte ouverte.


Le ménage dialogue avec la sécurité, dit Pull rouge. Et réciproquement.  Dialogue. Si nous apercevons un endroit sali par les élèves, nous leur signalons. Eux nous préviennent s’ils voient quelque chose de non conforme. Non conforme.


Nettoyage des dalles du bassin du patio. Je ne me souviens plus quand j’y ai vu de l’eau pour la dernière fois.

Il me dit : « Que cherches-tu ?

— Je suis la trace du satyre. Ses petits pas fourchus

alternent comme des trous dans un manteau

blanc. »

Il me dit : « Les satyres sont morts.»


Derrière son comptoir, elle soupire : il n'y a plus d'élèves, c'est triste. Elle répète triste trois fois.


L'école fermera bientôt. Je ne reviendrai plus avant septembre.


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