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Photo du rédacteurEmmanuelle Cordoliani

CARNET DES JOURS SUIVANTS 1 à 100

Dernière mise à jour : 3 avr.


© Frank Herfort


Il est trop jeune, c'est tout le problème. Il a peur des visiteurs. Il a des enfants à aller chercher à quatre heures, alors il fait ça le matin. Or, le matin, le soleil n'est pas du bon côté. Les visiteurs lui disent : on n'y voit rien ici ! c'est noir comme dans un four ! Et puis il fait froid. D'ailleurs c'est plein Nord !... Il leur réplique qu'il a un ami qui est guide dans le Grand Nord, avec les traîneaux, les chiens et les nuits qui durent six mois de l'année, lui pourrait leur en parler du froid. La température à l’intérieur des igloos est souvent tout juste au-dessus du point de congélation, mais c'est le pire des cas. À plusieurs et avec un peu d'entrain, la température peut monter à quinze degrés Celsius. Avec un peu d'entrain et une lampe à huile. Voilà ce qu'il réplique aux visiteurs dépités : qu'ils manquent d'entrain, que dans l'après-midi, il en irait tout autrement. Et il trépigne de surcroit. Elle ne croit pas qu'il ait ce genre d'amis : un guide à traîneau. Il doit être abonné à une chaîne documentaire... enfin, de tous les agents immobilier qu'elle a rencontré, c'est encore le moins calamiteux.

Elle n'habite plus les étages à présent, l'escalier est trop fourbe. Mais elle sait qu'elle finira par y retourner, définitivement, dans quelques temps, quelques années au mieux, quand elle ne pourra vraiment plus se déplacer. Avec la dernière énergie, elle montera dans la chambre inondée de lumière l'après-midi et jusqu'au soir et elle vivra là comme à l'hôtel. Si vraiment il ne se trouve personne pour lui porter ses repas, elle s'arrangera avec un panier à ficelle, depuis la fenêtre donnant sur la rue, où le soleil vient le matin. Les commerçants du coin l'ont toujours connue, ils se débrouilleront pour ne pas la laisser mourir de faim, ils le font déjà avec le chat du quartier... Allongée dans la lumière avec un gros livre qu'elle n'ouvre plus que pour en sentir le poids, elle pense à sa vie : quand elle vivait de l'autre côté, dans la maison mitoyenne. La chambre du premier y est baignée de la même lumière. C'est presque comme si elle y vivait encore. Aux beaux jours, on ne sait plus vraiment dans lequel des deux jardins la glycine est plantée : elle déborde le mur commun de toutes parts, d'allers et venues exubérantes. De l'autre côté, le jardin avait l'air plus grand, mais c'est sûrement une illusion. Sous ses paupières fermées comme un rideau d'or veiné de rouge, elle perçoit vaguement derrière la tête de lit les bruits de sa vie précédente.

Je préfère ne pas me voir, j'ai déjà perdu ma jumelle. Impossible de dire s'il parle tout seul ou au téléphone. Et comment savoir s'il parle de sa sœur ou d'une longue vue ? Mais comment pourrait-il se voir avec une lorgnette ? Techniquement, c'est irréalisable ou éventuellement avec un miroir situé au loin, mais alors que verrait-il sinon un jeune type barbu dont le visage serait partiellement caché par l'outil même qui lui sert à regarder ? On comprend mieux pourquoi il déplorerait l'absence de sa sœur jumelle, l'illusion, contemplant son visage d'y voir un reflet du sien, un reflet aimé... Mais il est bien trop âgé pour l'avoir perdue au supermarché, ou sur la plage. Et il y a tant de désordre et de chagrin dans sa voix. Et l'enfant qui n'arrête pas de demander : « à qui il parle le monsieur ?», que lui répondre ?

#97 

À la cantine du personnel, elle a invité une amie du passé, qu’elle a reconnue parmi les clientes, le jour des roses. Elles sont assises à présent à une table pour deux. À celle d'à côté, Julia (elle dira plusieurs fois son nom), le regard vide. L’invitée se lance dans un résumé succinct des vingt dernières années, mais qui apparaît déjà trop long et trop coloré pour cette salle de restaurant presque déserte. Profitant d'une pause dans ce récit, l'organisatrice interpelle Julia. Immédiatement sa tête d'hydre s'avance vers les deux amies, tandis qu'une autre semble toujours amorphe dans le creux de son coude sur la table. Elle dit à nouveau son prénom, puis, sans s'interrompre : « Depuis un an, il ne se passe plus rien. Je m'occupe de ma mère. Je pensais qu'il l'avait compris, quand je reste dormir couchée en crevette sur le seuil de la chambre des enfants, quand je me cache dans les rideaux, mais je crois que ça le met en colère. » Pendant qu'elle parle, l'invitée voit très clairement un ample pardessus de laine ocre-rouge, frappé de minuscules pieds de poule derrière quoi se cache encore une autre tête de Julia, blonde, toute petite. Elle a également la certitude que le mari de Julia, se nomme Théo, ou Hugo. Oui, le H et le O, c'est certain.

Plus il répétait qu’il y avait eu erreur sur le postulat de départ, plus elle redoutait qu’il n'ait plus l’intention de quitter son salon. Le dimanche soir, la télévision donnait en pâture des histoires de docteurs qu’elle ne voulait manquer sous aucun prétexte. La raison principale était l’inintérêt absolu qu’elle avait pour le sujet. L’action, le suspens, les coups de théâtre du scénario, tout cela glissait sur elle comme l’eau sur les plumes d’un canard et pourtant, quittant son canapé après trois heures de cette médecine, elle se sentait comme nettoyée. Exactement comme sa voiture après le passage sous les grands jets et les rouleaux qui caressaient la carrosserie avant de lui appliquer une infime couche de cire protectrice. Elle roulait ensuite jusqu’à la chapelle des monts où elle allumait un cierge, sans destination précise et finissait sa journée avec les docteurs américains. Tout cela marchait harmonieusement ensemble. Elle le regarda prendre son manteau. N’avait-il pas plutôt évoqué un consulat de départ ?

Il y avait plusieurs tiroirs à son bureau. Un meuble solide. Aucun n’a jamais été fermé à clé, bien que cela soit techniquement possible : chaque tiroir étant doté d’une serrure. Mais la clé ? Les clés ? Qui sait aujourd’hui ce qu’elles sont devenues ? Les enfants aiment à jouer avec ce genre de jeux miniatures, clés de tiroirs, de boîte aux lettres, clés des portes du buffet, des valises… La pièce elle-même n’était jamais fermée. Dans le premier tiroir, il conservait un répertoire. Rien de précieux comme ces livres reliés de cuir et dorés sur tranche que possèdent les personnes d’importance, ou qu’on offre parfois pensant faire plaisir ou manquant d’idée et qui impressionnent tant qu’ils restent vierges avant de finir dans un vide-greniers, coupable d’avoir conservé leur air flambant neuf, alors qu’ils sont parfois les doyens de la tablée. Dans le tiroir, se trouvait un simple répertoire cartonné, dont la couverture passée laissait imaginer qu’il avait traîné un temps sur le bureau, abondamment éclairé par une grande fenêtre sans volets. Pourtant, personne ne conserve le moindre souvenir d’avoir vu le répertoire sur le bureau, ni quoi que ce soit en dehors de la lampe et d’un stylo à pompe. Le répertoire est écrit avec des encres différentes. Il contient peu de noms. Il réfléchissait longtemps, plusieurs années parfois, avant d’un inscrire un, car une fois qu’il était consigné là, il n’était plus question de le reprendre.

Se réveiller avec un bras en moins. Il y eut un soir, il y eut un matin. Dorénavant, ce sera comme avant, mais un bras manquera. De très nombreuses choses ne seront plus faisables, mais plus nombreuses encore celles auxquelles on ne pense pas et un jour, on a le nez dessus : un mur qui s’élèverait soudain au milieu du couloir, condamnant l’accès à la salle de bain — toujours possible, mais au prix de quel détour ? Sortir dans la rue en chemise de nuit, longer la maison par la venelle qui sent la pisse de chat, escalader la fenêtre… —  Et il n’est même pas encore questions des choses auxquelles on n’aura jamais pensé, comme si la perte du bras pouvait les éradiquer d’avance, les extraire avec la racine, les tuer dans l’œuf. Le bras, c’est une métaphore, le mur, une façon de parler, mais il n’y a aucun doute : c’est petit à petit qu’elle prendrait la mesure de celle qu’elle n’était déjà plus. 

Il s’est arrêté un instant, rabot en main, pour observer la traînée de bave sèche et brillante qui festonne sa planche. Il se demande finalement si la vie que nous portons au revers, n’est pas tout autant notre vie que l’autre, l’officielle, celle que nous croyons vivre puisqu’elle est faite à notre image et à notre ressemblance... Elle nous ressemble comme une sœur (sa sœur lui ressemble trait pour trait, comme elle ressemble à leur père et à leur grand-mère, ce qui n’est pas sans relation avec cette comparaison), mais l’autre, son exact opposé, n’est-elle pas toute proche, et d’une certaine façon, qu’il ne s’explique pas bien, mieux connue de nous ?  L ‘escargot porte l’extérieur et l’intérieur de sa coquille. Quelle partie discerne-t-il le mieux ?

Une sieste. Une simple sieste de quinze minutes. Elle s’est réveillée, à regret, cinq heures plus tard. Il fait nuit entre les lames du store, mais le réverbère dispense le strict nécessaire. À tâtons, elle gagne la cuisine, flottant dans un étrange bien-être. L’eau à un goût de chlore très prononcé… à moins que ce ne soit le verre ? Six ans auparavant, l’opération, l’extase anesthésique… Ses paupières sont lourdes à nouveau. Elle n’a pas vraiment ouvert les yeux depuis son réveil, elle y renonce. La lune à des cornes de vache. Elle dort cette nuit-là d’une traite jusqu’au petit matin. De ce jour, le sommeil devient son but, son désir, sa préoccupation par excellence, la perspective béate de ses journées. Les mesures indispensables sont prises : les volets demeurent clos, elle n’allume plus jamais la lumière. Au lieu de partir en vacances, elle achète des oreillers profonds comme la mer, une couverture pesant un homme. Lentement mais sûrement, la réalité quotidienne prend la couleur du rêve. Juste retour des choses, puisque son sommeil bienheureux en est dépourvu.

Elle s'est adoucie. Voilà ce qu'ils disent d'elle, depuis qu'ils la pensent sourde. Ils ne prennent même plus la peine de parler dans son dos. Elle a mis de l'eau dans son vin. Sûrement pas. D'ailleurs, elle n'en boit presque plus. De vieilles querelles se sont détachées d'elle, c'est cela qu'ils devraient savoir. Certains efforts également, celui de les écouter par exemple. Elle est dans son monde. C'est bien une idée à eux, sous prétexte qu'elle ne fréquente plus le leur, elle serait isolée, dans une bulle, ils disent cela aussi « dans sa bulle ». Cela doit les rassurer de convoquer ce genre d'images enfantines, puisqu'ils ne supportent pas de la voir vieillir. Il serait plus intelligent d'admettre qu'ils n'ont aucune idée de ce qui est à l'œuvre. Ils se retranchent derrière des expressions que les autres vieux leur servent parfois sur un plateau. La vieillesse est un naufrage. Parce qu'ils font autre chose, peut-être, que dériver d'une compromission à l'autre, dans la force de l'âge ? À la Tate, elle aime aller voir les marines de jeunesse de Turner. Si elle y emmenait son voisin, il arrêterait peut-être de lui seriner cet adage au moindre pépin de santé. Il ne faudrait pas vieillir. Qu'est-ce que c'est que ce conditionnel ? Il ne faudrait pas reprendre jusqu'à l'écœurement de ce gâteau si raffiné qu'ils ont apporté, mais que faire d'autre avec eux pendant ces longs dimanches ? Il ne faudrait pas les vexer en leur disant leurs quatre vérités, mais on peut au moins y rêver en prenant l'air sourde, en douce.

Il attrape les silhouettes qui passent par-là, de vagues connaissances : le type qui fait passer les gosses rue du Renard, une fleuriste chez qui il n'achète jamais rien, deux jeunes gars rigolards qui font le siège d'un banc, tard dans la soirée par tous les temps, une vieille promenée par son chien moche… et il les colle dans ses romans, ses nouvelles, ses journaux, dans toutes ces choses qu'il écrit. Il les trafique bien un peu, il les bricole comme au fond d'un atelier, sur l'établi où chaque outil a sa place désignée. Il ne les torture pas, il les pousse plutôt dans le sens de leur pente, il suit toujours la veine de leur bois. Rien que de très banal, dit-il, dans ces pratiques. Ce qui l'est moins, c'est cette façon qu'il a de saluer chacun d'entre eux à la manière d'une vieille connaissance quand il passe à vélo. Le plus drôle, c'est que peu s'en étonnent : ils lui sourient familièrement, au contraire.

Elles ont vingt-cinq ans, lui annonce-t-elle. Derrière son comptoir, il les contemple à nouveau. Il s'en est bien occupé. Il est toujours très consciencieux. Elles sont très belles, dit-il en réajustant un lacet. Elles viennent de chez André, je n'aurais jamais cru qu'elles tiendraient le coup… Vingt-cinq ans, tout de même, on ne travaille plus comme ça. Je n'aurais jamais cru dire un jour une phrase pareille non plus, une phrase de vieille. Et pourtant si… Il hoche la tête : nous avons connu des jours meilleurs, des manteaux amicaux qui s'élimaient pendant dix ans, de sacs de voyage increvables… Vous avez raison : c'est peut-être davantage une vieille phrase qu'une phrase de vieille. Vous savez le plus rôle ? C'est un secret, mais à vous je peux bien le dire, vous comprendrez. Quand je remets ces godillots, je marche sur le sol d'il y a vingt-cinq ans. Vous rajeunissez ? Pas du tout ! c'est le sol qui retrouve ses marques sous mes pas. Je vais les passer avant de quitter votre boutique, vous verrez.

Ils s'étaient donné le mot, un mot de ralliement, mais plus j'y réfléchis moins cela me semble vraisemblable. Mettons qu'on leur avait donné un mot, un mot de ralliement, un même mot pour tous, mettons qu'on leur avait fourré dans le bec écrit, oui, écrit sur un de ces bouts de papier fin comme tout sur lesquels s'impriment provisoirement les reçus de carte bleue, voilà, ça ressemble davantage à ce qui a dû se passer : c'est pas bien difficile de leur coller quelque chose dans la bouche quand ils sont là, hagards à tout heure du jour et de la nuit, assis sur le muret les yeux dans le vague, ou déambulant sur des tiges de verres tremblotantes, scrutant le sol à la recherche d'un peu d'or oublié, de quelque chose qui se fume, qui se met dans la bouche, justement, clac, le mot sur le papier roulé à la manière de ces cigarettes minuscules qu'on importait des Indes autrefois, clac le mot et illico, roulé jeunesse, ils sont saisis d'une détermination incroyable pour des loques pareilles, et ils courent amasser des trucs et des machins, tout ce qui leur passe sous la main, poubelles, chaussure égarée, laine de verre, bout de sandwich, bouteilles (ah ça, plein) sapin de Noël sans plus trop d'aiguilles, poussettes cassées, tout on vous dit, et ils entassent ce butin sur des grilles chaudes à même le sol, éloignées de 200 ou 300 mètres de celles des autres, tout ça pour se balancer leurs trucs et leurs machins avec une force colossale pendant tout une partie de la nuit (la plus sombre) et les rares à passer par là voient des objets voler bien au-dessus de leur pauvre tête bien fatiguée, sans y ajouter fois et les autres continuent les tirs avec la grâce des bûcherons au concours de lancer de tronc, les chaises en métal cabossées, les conserves de viande pour chien, les sacs de clémentines pourrissantes volent jusqu'à s'écraser alentour des grilles chaudes et ça dure toute la nuit ce cirque. Maintenant, ils dorment à plat ventre au milieu des détritus, inconscients, sur les grilles. Voilà, c'est ça la pitié.

Quand, au juste, se termine

La saison des mandarines ?

(Qu’on me tienne au jus. Merci)

Soudain, elle avait pris d’eux tous un grand congé. Combien de temps cela avait-il pu durer sans que personne ne n’y trouvât rien à redire ? Une semaine ? Un mois ? Cinq années ? Nul véritablement ne s’en est aperçu. Pas plus qu’à son retour, cette façon qu’elle a de ne rien exprimer qu’en vers de douze pieds.

Une petite dame en manteau beige, de celles à qui l'on dit encore : « Qu'est-ce qu'elle prendra la p'tite dame ?», avec béret beige bien assorti sur sa coupe de cheveux impeccable. C'est la fin de la journée, mais son maquillage n'a pas pris une ride, il est resté bien sage fines, tant qu'on voit ses yeux clairs au travers, il n'a pas filé sur ses lèvres minces — on comprendra plus tard qu'elle l'a probablement retouché pour l'occasion —. Un léger déséquilibre… une hésitation à couper la route pour arriver la première trahie seule son âge. Autrefois, elle serait passée devant avec autorité. Elle sait qu'elle est moins stable à présent, mais autrefois, elle était pressée, impatiente, enfant déjà, elle était ainsi. Depuis quelques mois, l'attente est devenue exquise, au point qu'elle redoute que l'autre femme, plus jeune, ne lui cède sa place, finalement. Mais non, il y aura toujours des femmes pressées. Elle, attend, les narines frémissantes, les yeux baissés. Les demandes des autres la font sourire sous cape. Personne ne sait ce qu'il convient véritablement de faire là, à cette heure précise. Puis, c'est son tour : « Je voudrais deux baguettes chaudes ». Elle repart, son paquet dans les bras. Le quartier flotte dans la douce lumière de son extase. À cet instant, la vie frôle la perfection.

Ses yeux lui ont fait très mal après l'opération. Jamais, dit-elle, elle n'avait connu une douleur pareille. Même à ma pose d'un stérilet, demande l'autre. Elle apprécie en connaisseuse. Oui, le stérilet c'est quelque chose aussi, mais bref… fulgurant. Oui, fulgurant. Les yeux, ça n'en finit pas. Il les écoutait avec attention. Il a précisé, moi, j'attends la presbytie pour enfin voir net de loin. C'était une conversation joyeuse, on peut le dire. À l'opposé de celle, où, quelque heure plus tard, elle tente d'expliquer précisément les modalités de la métamorphose qui commence à l'occuper.

Comme souvent, la dame de l'allée verte a oublié de prendre ces médicaments. Elle vocifère dans les plantations, se rebelle contre des tortionnaires visibles d'elle seule, insulte les passants pressés du matin, mais toujours à bonne distance. Ou bien a-t-elle encore une fois refusé de prendre ces médicaments qui font d'elle une pauvre vieille femme apathique et marmottante que personne ne songerait à désigner comme la dame de l'allée verte.

La station était vide. Elle allait repartir quand un jeune type pas assez couvert arrive à bicyclette. Elle s'approche de la borne où il dépose l'engin. Vous êtes mon sauveur, lui déclare-t-elle avec enthousiasme. Il se retourne pour se trouver nez à nez avec cette petite femme emmaillotée comme une poupée russe. Elle répète : vous êtes mon sauveur. Effrayé, il répond qu'il ne peut rien faire pour elle, qu'il vient seulement travailler là… Elle lui montre la station vide, le remerciant pour le vélo. Quand il comprend qu'elle ne veut pas lui vendre de bible, il se sent si bête qu'il s'excuse en bafouillant et puis file à son travail.

Ils étaient assis dans les fauteuils profonds de cet établissement chic, des fauteuils extrêmement confortables, appelant à l'abandon, au relâchement complet des membres, à l'assoupissement, les yeux clos à demi… pour rien au monde ils n'auraient voulu chez eux de ces gros sièges tendus de laine blanche fixée par des clous globuleux en métal argenté, dans lesquels ils étaient assis depuis une demi-heure sans presque rien se dire. Elle vida sa tasse. Tout était fini entre eux. L'habitude seule faisait tenir ensemble les journées qu'ils passaient côte à côte, disposés comme ces fauteuils prétentieux de part et d'autre d'une table minuscule où chaque chose se présentait en portion individuelle, emballées séparément dans du papier cristal. Combien de temps encore pourrait-elle supporter d'être si peu écoutée, si peu regardée, si peu aimée ? Un voyage, pensait-elle, un voyage peut-être pourrait encore les ramener sur la même rive… J'aimerais que nous partions en voyage, dit-il alors, brisant le silence qui avait trop duré sans même qu'il s'en soit aperçu.

Voyager loin sous l'empire de l'océan. Sans l'étrangeté des yeux d'Osmin, ce bleu pâle et froid comme un torrent de montagne, il n'aurait jamais pensé au Nord, à l’Islande. Selim est profondément méditerranéen. Sa mère, chypriote, sûrement.

Le bar n'a pas de nom. Pas de nom annoncé : une marque de bière à consonance latine et qu'on peut boire en Afrique comme au fin fond des Balkans, est sa seule enseigne. Les habitués l'appelle sans doute autrement, par son nom, ou un nom plus ancien, ou peut-être par celui de la propriétaire. Depuis qu'il habitait la ville, il l'avait toujours vu fermé. Les habitués avaient dû trouver à taper le carton ailleurs depuis belle lurette. Voilà ce qu'il se disait, chaque fois qu'il passait dans le secteur, mais hier, il pleuvait à seaux et le café était ouvert. Il n'avait pas la possibilité de faire le détour, d'entrer dans le bar illuminé par des petits néons publicitaires, où il distinguait le dos des habitués collé à la vitrine. Cet après-midi, après le déjeuner, il s'est empressé d'y retourner. Il a eu ça en tête toute la matinée : après le déjeuner, j'irai prendre le café au bar sans nom, je rencontrerai enfin les habitués. L'espoir un peu vain de devenir l'un d'entre eux, lui réchauffait l'âme, même s'il présageait que le café serait terrible… Le bar est fermé. Comme toujours. Les rideaux blancs ajourés de petits rectangles sont tirés. Leur maillage géométrique ne laisse rien deviner de l'intérieur.

Les petites têtes noires s'égayent à la surface. On dirait une sortie piscine mais l'eau a la couleur d'un bouillon.

Les oiseaux, on ne peut que les décrire.

Au réveil, j'ai pensé au voyage vers… (vers où d’ailleurs ? Un bled paumé au Canada, près d’un lac, j’ai dû noter ça quelque part…) et je ne savais plus lequel de mes personnages l'avaient entrepris ni finalement pourquoi. Et je devais en arriver là, fatalement, à mener sur des années une histoire de personnages qui marchent dans les pas les uns des autres, se cherchent, s'annoncent, mais toujours effacent leurs traces.      

Il a renversé sa tête vers l'arrière, pour appeler un contact, pour dire : « même quand tu es dans mon dos, même si tu te caches de moi parce que tu as honte, je suis là pour toi. Tu ne veux pas que je te voie souffrir ? Tu ne veux pas que je te voie aux prises avec ton fantôme ? Bien. Je comprends. Je comprends ça également à présent. Tu me l’as bien expliqué. Tu as dit la seule chose que j’avais besoin d’entendre — je ne parle même pas de savoir — d’entendre de ta bouche, pour traverser à tes côtés, ferme, solide et aimant, à tes côtés la grande nuit de ta douleur et de ta colère. Je suis là. Je trouverai le moyen d’être toujours là. Je renverse ma tête, ma gorge est offerte, je ne crains rien de toi et viendra un jour où je ne t’inspirerai plus la moindre peur non plus. Tu es blessé comme un animal et farouche. Je suis là. Veux-tu appuyer le sommet de ta tête contre l’arrière de la mienne ? Que ma tête devienne ton reposoir, si tu le souhaites, ne serait-ce qu’un instant. Chaque point de contact de mon amour est désormais, tu me l’as dit, notre amour. Je ne savais pas qu’il était si simple d’être fort. Il suffit de vouloir porter dans ses bras le poids de la douleur de celle que j’aime. Ce que nous avions n’est pas perdu. Ce que nous avions est comme l’enfant que nous aurons : il nous quittera un jour pour nous revenir, grandi, autre et pourtant toujours nôtre, quand bien même il s’appartiendra entièrement, quand bien même il aura fait don à un autre de son cœur, comme je t’ai donné le mien, mon cœur battant… » Elle s’est appuyée contre lui. Il est devenu la caisse de résonance de son espoir mêlé de larmes. Son enceinte. Sa caverne.

On ne lui avait pas dit qu'il était possible d'avoir des yeux neufs. Une rétine toute fraîche, tremblante d'émotion contre la surface du matin clair de l'hiver. Les contours de chaque immeuble, de chaque réverbère, de chaque arbre, bien redessinés, appuyés sur le fond du ciel à peine bleu. La précision extrême de la ville soudain, mais dans le même coup d'œil, une forme d'éloignement. Cette ville, si belle, si triste, si laide, si lumineuse, si habitée, si déserte, si fastueuse, si jeune, si misérable, si grise, blanche, noir… cette ville n'avait plus rien à voir avec l'homme qu'il était. Vivre-là ne disait plus rien de lui. Ce n'était plus qu'un à-plat sur lequel il se découpait, se décollait pourrait-on dire. C'était terminé.

D'ordinaire, elle est seule dans la petite salle entre rue en travaux et cour en travaux. Depuis des semaines, cette cantine à cadres est décotée. Elle prend son petit-déjeuner. Elle en a déjà pris un avec son mari et sa fille, mais c'était leur petit-déjeuner. Ici c'est différent : il y a un plateau individuel, un croissant et une boisson sucrée mais vraiment saine. Le nom lui confère cette qualité, tandis que le goût ramène la classe de neige, le ski, le lait concentré-sucré figé dans son tube. Ici elle lit un magazine féminin. Elle n'achèterait pas ça (qu'est-ce qu'elle pourrait bien en faire après ?) mais justement, ils sont à disposition. Elle ne sort pas le croissant entièrement de sa petite pochette en papier. Aux States, ils mettaient l'alcool dans ce genre de pochette… Ce matin, une femme était installée, en face de sa place à l'autre bout de la salle, quand elle est arrivée. Elle ne peut pas s'empêcher de lui jeter en coup d'œil en sortant la corne de son croissant du petit sac, et l'autre lui sourit. En partant, elle lui souhaite même une bonne journée. La garce

La pierre ancienne et le verre froid. La vieille pierre sourit sous cape. Qui est encore dupe de part et d'autre ? Nos fausses barbes ont remplacé les masques sanitaires. Bonjour… Emmanuelle ? La brève hésitation en prononçant mon prénom est l'ultime vestige de la politesse millénaire qui consistait à ne jamais nommer d'abord qui ne s'était pas nommé soi-même. Mickaël, enchanté ! Oui… l'est-il ? Il n'en croit pas un mot, ce qui n'empêche rien, notons-le. Il sait très bien que c'est mon prénom : je corresponds si bien au descriptif qui lui a été fourni : 50 ans, manteau et toque noirs, cheveux longs. Et je suis exactement assise là où je dois me trouver. S'il n'hésitait pas légèrement en me nommant, me laissant en devoir d'acquiescer, la possibilité de corriger la prononciation, il paraîtrait arrogant. Cette option n'a pas été retenue dans les sphères décisionnaires. On lui a préféré cette petite valse-hésitation suivie du désuet « enchanté ». Il sait que je sais. Il est concis alors.

C'est arrivé comme la pluie dans un ciel sans nuage.  Une goutte — on ne sait pas d'où elle vient, on vérifie machinalement qu'il n'y a pas un balcon à géraniums, on sourit à l'idée d'un oiseau pisseur dans l'azur — et puis une autre plus lourde d'où sourd une vague inquiétude, elle tombe sur le bras comme une heure de colle — on pense par association à l'eau lourde, à des jeux d'enfants où les liquides du corps se transformaient d'un coup en acide, comme le lait qui tourne — et tout soudain, une averse effroyable. Pour le mal du pays, ça s'est passé exactement comme ça.  Des milliers — soyons honnêtes, plus d'un million — de personnes vivant dans la Capitale submergées dans l'heure par l'irrépressible besoin de retourner d'où elles étaient venues, là où elles avaient grandi. S'ensuivit le spectaculaire exode vers la province et les conséquences qu'on sait.

Il n'avait jamais appris le Français. Jamais vraiment. Ce n'était pas nécessaire : ses amitiés, ses amours étaient chinoises elles aussi. Pour le travail, il se débrouillait. Doté d'une faculté d'observation peu commune, il suivait le fil de l'eau. À son arrivée en France, une de ses collègues lui avait demandé de lui apprendre un idéogramme par semaine. Elle ne retenait pas le bruit du mot : elle en était tout à fait incapable et elle lui préférait l'histoire qu'il lui racontait pour éclairer le dessin. Trente ans plus tard, on peut les croiser au Relais du Vin, une fois par semaine, menant bon train la plus étrange conversation. La vieille dame lance des mots comme des briques : « creux », « Enfant dans le ventre »… Il les attrape, marque un léger arrêt, son visage toujours juvénile s'éclaire soudain et un mot chinois jaillit. Ils rient beaucoup ces deux-là. Ils réfléchissent parfois très profondément, dans l'écart des mots, des sens et des sons, comme depuis une tranchée.

Il est rentré chez lui du pas des cosmonautes. Il s'était absenté moins d'une demi-heure, mais plusieurs années lumières semblaient lui être passées dessus. Elle en a arrêté la vaisselle pour lui demander si tout allait bien et sans prendre le temps de s'asseoir, ni même d'ôter son petit manteau, il lui a raconté, sans en revenir, le nouvel open-space de sa banque en fusion.

Le destin a une frange jaune au rayon informatique de la FNAC. Plein de sollicitude, tu accompagnais ta compagne et son ordinateur dans le coma. Dans un même temps, très tracassée par la perte des données, le retard dans son travail et ses corvées et beaucoup plus réfléchie, réfléchissant d'ailleurs à une vie sans cet autre compagnon, une vie de carnets et d'ordinateurs de rencontre dans des lieux publiques… Chacun a un point stratégique autour du poste du vendeur, aux prises avec un client âgé et tatillon, qui profite de l'ouverture des soldes pour enfin acquérir un de ces appareils avec toutes les options. Sa peur des virus rappelle d'autres salles d'attente. Frange jaune t'a dit : «Il va se bouger, le papy !» avec une certaine impatience et vous avez entamé une conversation à bâtons rompus. Et ce soir tu es assis sur un divan, dans la pièce qui est, désormais, ton cabinet

Il vibre comme une corde. On le voit légèrement double, comme sur une photo, un bougé. Il a minci, mais ce n'est pas ça. Il est sorti de l'école, mais ce n'est pas ça. il y a la photo d'une jeune femme blonde dans son portefeuille, qu'il ne montre pas mais qui se laisse voir, mais non, pas ça non plus. Ça ne lui va pas mal, mais comment lui dire ? Les mots se cherchent encore quand il explique son élégance — tout en noir — : il était d'enterrement le matin même — blême —. Son accompagnateur. Pas trente ans. Cancer foudroyant. Trois mois.

Tu te souviens de la blague sur les putes et les footballeurs ? Le pigiste que son rédacteur envoie au Brésil et qui renâcle : «Au Brésil, y'a que des putes et des footballeurs… ?» toujours pas ? Je pers un temps fou à te raconter ça. Non, je ne voulais pas te raconter une blague, c'était… une contextualisation. Tu vois le gars qui fait passer les enfants au feu rue du Renard ? Quel conte? Ce n'est pas un conte ! C'est ce que j'essaie de te dire. Je n'ai jamais parlé d'un ogre J'ai dit des putes et des footballeurs, mais je n'ai jamais dit ogre. D'accord, si tu veux, je l'ai déjà dit, oui, j'ai déjà dit ogre dans ma vie, mais pas là! On ne sait plus avec moi ? On ne sait plus ou ion  ne sait jamais ? Décide-toi!  Bon, je parle du gars au passage piétons rue du Renard, la rue que je prends chaque matin, ce n'est pas un conte, c'est ma vie ! si tu ne fais plus la différence quand je raconte c'est davantage ton problème que le mien, non ? Concentre-toi. Oui, j'ai bientôt fini. Je n'ai pas seulement commencé mais j'ai bientôt fini. Le gars fait traverser les enfants comme une… ah, j'ai oublié le mot, tu sais, une … dame-sucette ! Ne fais pas cette tête! Je n'insinue rien, c'est le terme anglais : lollypop-lady, à cause du panneau STOP qu'elles utilisent, tout rond, là-bas, au bout d'un manche à balai… Je n'invente pas. Tu n'en vois pas en France, c'est tout, ici c'est une autre méthode. Les bras en croix et des petits signes « allez, allez mes petits chéris » avec les doigts repliés. Tu me suis ? Alors Julio, rue du Renard, une fois les gosses passés, y compris les retardataires du bonhomme vert à qui il a fait son signe « Allez, allez, c'est bon, je fais barrage avec mon corps», Julio, il remercie les cyclistes de leur patience. Les automobilistes ? Aussi, mais ils n'entendent pas avec les vitres fermées. Il dit avec une belle voix grave :« Merci et passez une bonne journée». Une voix du pain au four. Le rapport ? Le rapport avec quoi ? Ah, il est brésilien. Dans une autre vie, il bossait au Bois. Oui, comme le Loup. Enfin, le loup avec son chaperon rouge

Elle a la voix d'un homme au téléphone. Autrefois, elle piaillait affreusement. A la longue, elle a fini par se faire à l'idée et au son et à l 'air un peu surpris des gens qui la rencontrent après avoir parlé avec elle au téléphone : son corps piaille toujours, lui

Elle oubliait de manger quand elle travaillait. Elle était absorbée pendant plusieurs heures d'affilée, une journée parfois et, bien sûr, quand le travail s'arrêtait, elle restait sans force, hagarde presque, assise sur un banc en face du bureau d'accueil, véritablement perdue. Elle s'en souvient tout à coup, en réalisant combien il lui est facile de sauter ce repas, d'avoir les oreilles qui sifflent et un certain mal de tête en échange d'une légèreté immédiate. Quand j'étais petite fille, les moutons je les gardais / J'étais encore dans ma jeunesse, j'oubliais mon déjeuner / Un matin, Maître se lève pour venir me l'apporter/ Tenez, tenez, petite fille, voici votre déjeuner… Il lui apportait à manger. L'obligeait doucement à s'arrêter. Refusait ses atermoiements. Il n'est plus là pour la surveiller à présent

Une grande fille avec un ciré jaune. Charpentée, équipée, piaffante. Elle prend son terrible besoin de se mettre à l'œuvre pour de l'enthousiasme… ou peut-être n'est-elle pas sa dupe ? Peut-être le déguise-t-elle ainsi pour le rendre supportable. A elle, aux autres… Elle attend que ça commence, comme on voit cette adolescente chez Doris Lessing attendre que ça commence, le sexe, l'amour, la vie de femme, tandis que là, dans son ciré jaune, elle attend que sa vie de femme qui travaille commence. Dans les deux cas, c'est déjà commencé, mais comment le sauraient-elles : c'est, en bien ou en mal, une telle déception de l'image qu'elles s'en font

Il se dégage de lui une telle intégrité qu'au moment où il retire ses lunettes, ses lunettes parfaitement opaques, elle réalise qu'elle n'a jamais vu son regard. Si on lui avait demandé, jusque-là, de décrire ses yeux, elle aurait cru en être capable, de bonne foi, peut-être l'aurait-elle fait. Certains sons laissent dans la mémoire une trace de couleur. Sa voix, les échangent qu'ils avaient eu, la légèreté courtoise qu'il affectait en toute occasion pour ne pas faire porter son tourment par d'autres, sachant fort bien qu'il n'était plus en mesure de le dissimuler totalement, qu'il s'était pris dans ses cheveux gris, dans l'expression de son visage au repos, sa façon de bouger ses mains soignées, l'odeur de ses habits du dimanche, élégants et impeccables et qui sont les seuls qu'elle lui connaisse, sachant, en clair, qu'il en était constitué, désormais, de ce tourment. Jusqu'à ce qu'il retire ses lunettes noires parfaitement opaques, elle croyait le connaître, elle s'en rend compte à présent, mais les yeux qui sont là, qui regardent éblouis et émus alentours, ses yeux battus, cernés de grandes poches fripées et sombres, ont pris la place du regard qu'elle lui prêtait et c'est un homme autre qu'elle considère soudain. Bien plus fragile et en conséquence, drôle de conséquence des vases communiquant des trajectoires et de la grâce que les humains y déploient contre toute attente, un homme plus digne

Fin de journée au supermarché. Allez, allez, ce n'est pas le moment de faire une mise à jour, dit la caissière pour accélérer la sortie du ticket. Je propose : une mise à nuit, alors ? Elle rit (mise à nue).

Vingt jours avant la prochaine paye. Mathématiquement impossible.

Nature morte de Louise Penny : la critique de Une Famille parfaite de Lisa Garner, le polar lu juste avant. J'aurais pu écrire un cliché, mais non. On fait pas ça au Canada. Dans le whodunnit, être malin ne suffit pas pour ne pas se faire prendre la main dans le sac du blabla.

Les rêves encore. Une affiche pour une marque d'infusion à effigie de panda (l'animal noir et blanc n'a pas de problèmes de sommeil avec sa libido à zéro, mais plutôt des problèmes d'existence, de survie, contre quoi les tisanes ne peuvent pas grand-chose). On annonce : N'abandonnez pas vos rêves ! Comme si nos rêves étaient autant d'enfants en bas âge, d'animaux domestiques, de cow-boys mortellement blessés : des corps impuissants objets de notre volonté, de notre toute-puissance…

Plus tard le même jour, comme dans Les Exercices de styles de Queneau, sur les coups de 7h, conversation avec un administratif matinal sur le seuil de son bureau. Tu as passé de bonnes fêtes ? Il a un instant d'hésitation. J'ai lu un livre… qui m'a troublé, occupé, remué? Je ne suis plus certaine du mot qu'il a dit, mais ensuite nous avons parlé de Ma Vie de C.G Jung jusqu'à ce que le jour soit levé. Puis, nous nous sommes félicités d'avoir aussi bien commencé la journée. Que faire à présent, sinon traverser un Paris où chacun parlerait des rêves, du rêve, comme dans Matthias et la Révolution avec 1789… ?

« Chaque rêve a son prix» précise sans ambages l'affiche du film Chippendales'. Mais enfin ! … Les rêves, dont je sors à peine pour lire cette ânerie, les rêves de la nuit, ont-ils un prix ? En quoi les Chippendales sont-ils «un rêve», et de qui ? Autant de questions dont seule la première pourrait présenter un intérêt réel. Every magic comes with a price, on connaît la chanson, mais les rêves sont du côté du naturel, à la portée de chacun : on ferme les yeux, on dort, on rêve. S'en souvenir, bon, c'est une autre paire de manches. Il y a — nous sommes pour nous-même — une instance de régulation. Le jour, le rappel des rêves de la nuit n'est inoculé que dans la mesure du supportable, une fois que nous sommes éveillés. L'instance de régulation est corruptible ou plutôt, on peut la bâillonner en lui collant dans la bouche de gros champignons hallucinogènes. Les rêves passent alors, mais ce sont des rêves de champignons et non de nuit. On peut aussi blinder l'instance de régulation en l'abrutissant de médocs ou de Médoc. Plus rien ne passe en image des rêves de la nuit dans la journée, mais une contrebande prend pour lieu le corps, les actions et finalement la forme du rêve fait irruption (plaque rouge, furoncle, cycliste qui débouche d'une petite rue avant que tu aies pu freiner).

Sylvie, si pâle, inquiète d'ennuyer nos élèves, merveilleusement entassés dans sa petite salle, dans les gradins d'occasion : tables où s'assoir surplombant les chaises. On pense à Deleuze, sans la fumée. Trois profs là-dedans, cadors dans leur domaine. Quelle importance leur ennui ? Dans dix ans, ils se souviendront encore d'avoir été là, au premier jour de l'année.

Avec un banc en bois et deux barres sur pieds, bricoler un fond de cale pour Billy Budd dans la salle de danse. Cette petite boîte aux quatre vents vaut mieux que l'immensité du parquet nu et dans ce peu d'espace vide, Victor s'est immédiatement trouvé mieux. Dans un deuxième temps, adjoindre un compagnon de la cellule d'à côté  — sorte d'Abbé Faria  — qui l'entende sans le voir. La disponibilité de Victor fait de l'opération un succès.

Les jours et les nuits ne font plus rien d'autre que se suivre et le font si parfaitement que tous ressemblent à s'y méprendre à hier et demain. C’est un long tunnel où peu de chaleur vient des corps endormis sans un mot l'un contre l'autre. Une vie d'ours. Pas une minute n'est consacrée, gaspillée à en mesurer le poids, la peine, sinon nous verrions que nous sommes à genoux et que c'est ainsi que nous prétendons avancer vers la lumière.

L'idée perdue est revenue quand je faisais la vaisselle du petit-déjeuner. Un série de questions au sujet de Malice. Les mots eux-mêmes sont comme des chevaux sauvages à présent : ils sont loin, mais pas inaccessibles, on connaît leur nature  — il en irait différemment s'ils étaient des pistils de pissenlit ou des lettres perdues transportées vers l'Australie en courrier postal  —, on saura reconnaître leurs  grands corps près d'un point d'eau. L'approche silencieuse et pacifique fera alors toute la différence et je pourrai poursuivre ces chapitres de questions par personnage, inaugurées à l'été par L'Âge du capitaine dont je suis assez contente et qui a simplifié radicalement l'élaboration de L'Archive Sauveterre.

Ce qui est terrible avec la régularité formidable, c'est qu'après une semaine, deux jours parfois, je ne sais plus ce que j'ai écrit dans les pages du journal. C'est vraiment une pratique d'écureuil. Je sais qu'il y a des noisettes enterrées quelque part — en lieu sûr, puisque je n'y aie plus accès  —, enfin, je crois. J'ai peut-être rêvé l’écrire.

Une phrase est passée dans le réveil du matin. Une phrase pour Malice. Le schéma est toujours le même : elle semble si évidente que je ne la note pas. Je la répète pour le plaisir d'entendre ses phonèmes couler de source. Elle me promet des pages d’écriture — plus de deux milles signes en tous cas  —. je me souviens qu'elle contenait des questions en enfilade. À peine deux mots pour chacune. La coquille vide de la forme seule demeure.

Observant le petit garçon boire son chocolat à la petite cuillère, je pense à la petite cuillère de Cortazar, celle qui a une vie propre. La vision s'élargit, quelque chose se met à distance quand. L'essence des choses — notamment celle de la petite cuillère — se dilue dans l'immensité. Le petit garçon touille, boit avec des précautions, nettoie sa cuillère en la serrant entre ses lèvres, la brandit à la hauteur de son oreille. <br>Son émerveillement en remontant l'allée bordée de plots lumineux dans la grande cour carrée, quand il voit les arbrisseaux nus et illuminés d'une longue guirlande. On dirait des êtres.  Ainsi les voit-il, sans la médiation d'un on dirait. « Qu’est-ce-que c'est ? Mais qu'est-ce-que c'est ?» Je me demande s'ils impressionneront sa mémoire si neuve. Arrimer la mémoire des enfants a été, un temps, une obsession à l'adolescence.            Une montée d'immeuble neuf et bourgeois, à Ugine. Un petit garçon malheureux. Nicolas, je crois. Est-ce que je le gardais ? Non. On me laissait simplement avec lui tandis que sa mère versait des seaux de larmes dans le giron de la mienne. Elles auraient mieux fait  de boire un verre en fumant des  clopes.

« Je n’arrive pas à écrire de la fiction. Je ne peux pas écrire de la fiction… » On entend de ces trucs ! Comme s’il n’y avait jamais autre chose qui nous soit accessible ! On affabule comme des fous ! On narre à toute berzingue, au moindre gars qu’à la tronche en biais au comptoir d’un kebab, en zieutant son futur qui — vraiment — ressemble à John Wayne, non ? Ou bien à Virlojeux ? Même les modes d’emploi ont un mal de chien à rester objectifs puisqu’ils sont l’objectif d’un seul, qui les écrit, qui s’imagine comment il ferait, peut-être même qu’il essaye, mais puisqu’il le raconte, en omettant les coups sur les doigts, les ratés « ah ben faut tout recommencer », c’est de la fiction aussi, non, cette perfection ?

Un plus petit format. Et voilà. Je prolonge ce journal. Simple comme l'œuf de Colomb, Mangez-moi, la magie ça rend plus petit pour passer sous les portes.

Malice n'est nulle part. Sa tasse fume encore. Malice fume dehors dans le matin carré de la fenêtre du haut de la porte. Les glycines du mur d'en face lui font une Marie-Louise. (Dans la maison de Valérie Delbore — je n'ai d'abord pas reconnu la comédienne, mais tout de même, un trouble à ce visage, à cette voix douce et sans mollesse —, à l'étape de Semur-en-Auxois, j'ai laissé le volume trouvé de l'Éternel fiancé, d'Agnès Desarthe, sans rien lui dire.)

Les autres sommeils dérangeaient celui de Petite Source. Ils trouvaient l'eau de ses rêves, émoussaient leurs arêtes, tranchantes comme la crête des montagnes où même la neige ne peut s'accrocher, que les oiseaux, les rares oiseaux à pouvoir s'aventurer si haut, évitent d'un écart brusque et large. Il fallait donc que Petite Source dorme seule, dans une pièce vide, seul son lit, embarcation filant vers les rapides.

La mort du Commandeur, à présent, j'en ferais le centre. Je la traiterais du côté des vivants, à côté d'eux. Le désordre, l'incompétence, l'ahurissement, la trivialité. Choisir la garniture du cercueil. Ces satinettes moches, les mêmes qu'aux panoplies de vilaines petites marquises de petites filles. Ou les robes de ces poupées qui cachent des rouleaux de PQ. La mort me met dans une saine colère avec son tralala.

Skier seule dès l’âge de huit ou neuf ans, un terrain de jeu d’une centaine de kilomètres carrés. Ils savent où tu es : tu skies. Ils ne savent pas exactement où tu es : tu skies quelque part sur ce terrain de jeu. Les gars des remontées mécaniques te connaissent tous, du bar, de la famille. Tu ne risques rien. L’air dessine ta silhouette si précisément. Tu files. Tu improvises. Tu traverses des mondes en fendant l’air. Quand tu t’arrêtes, tu as pris dix vies. La solitude est pour toujours magnifique.

À Albertville, j’avais oublié cette cour sous un porche d’immeuble où nous portions les chaussures à réparer. Uniquement des garages et puis une ou deux baraques, dont celle du cordonnier. Tu transportes ça en plein désert et avec une loupiote ou deux au milieu de la nuit, une sacrée faune, ça donne le Marché des Vacillantes.

Les chambres sont distribuées de la façon suivante : au fond, celle des enfants de Pierre, un garçon et une fille, qui ne viennent que deux fois par mois, à droite, sans fenêtre, la chambre de mon frère, qui tout à coup a 19 ans à nouveau, à gauche, une chambre pleine de chaises de restaurant chinois, couvertes de satinette verte, avec une vue sur… un gigantesque trou dans la ville, chantier d’hôpital ou d’opéra. Les adultes dorment dans la pièce principale : deux grands lits à barreaux s’y font face. On pourrait penser aux lits partagés des grands-parents de Charlie et la Chocolaterie, mais c’est très différent. La fille de Pierre profitait autrefois de son sommeil de plomb et du divorce de ses parents pour se glisser dans son lit au milieu de la nuit. C’est ce que je fais également, alors même qu’il dort avec sa nouvelle compagne, Émilie. Je deviens de facto une fille de pierre pour quelques heures. Dans la journée, les lits ont disparu. Je propose d’allouer la pièce aux encombrants chinois à mon frère, qui a besoin d’espace. Ainsi les enfants de Pierre auront chacun leur chambre, dont une sans fenêtre, mais ça ne crée pas de problème. Non, le sujet, tandis que je commence à débarrasser les chaises vertes, c’est davantage cette pièce dont le titre comporte le mot « bleu », sans que je le saisisse nettement, où Émilie souhaite à tout prix emmener Pierre, qui n’en dit rien, mais à qui ça ne dit rien

Pierre a fait la lumière sur un Turandot dont il faut croire que je l’avais mis en scène (au TCE ou à Bastille), même si je n’en gardais pas grand souvenirs, très occupée à voler une veste dans une loge côté public. Ensuite, nous entrons illicitement dans un appartement chic, très beige et bois. Il y a là derrière une double porte close, le cabinet d’un médecin ? D’un analyste ? Entendant la femme de ménage, nous trouvons un abri dans une armoire à balais, en plastique noir, donc nous refermons astucieusement les portes sur nous. Elle est venue prendre l’aspirateur dans le placard au-dessus de nos têtes, sans rien voir.

La couleur orange me fait de petits signes amusants comme des jouets de l’enfance : le cul carré d’une camionnette — de cette orange tirant sur le brun si typique des années 70 —, un foulard en polyester à grosses fleurs pris dans les affaires de la Jeanne pour distraire un mal de gorge, les petites clémentines corses que j’apporte ici et là pour marquer les rencontres d’un Noël ancien, la cuvette des toilettes au fond du couloir encombré, sombre et sale, si pop qu’elle a l’air d’avoir voyagé dans le temps…

Ne pas attendre les idées. Ne pas se fier aux idées. Les idées vieillissent vite. Elles passent. Si tu es là avec ton filet à papillons et de quoi les épingler illico sur le papier, bon. Mais si tu les gardes dans ta boîte, elles dépérissent. Elles deviennent comme ces phrases qu’on prévoit de dire à un rendez-vous. Du toc. Les mots, par contre, compte là-dessus, comme sur un fil qui dépasse pour détricoter tout le pull-over, tout ce qui sépare de la nudité, à la vitesse grand V. Les mots dépassent de partout, y’a qu’à se pencher, ils te tombent dans l’oreille, ils te sautent aux yeux, ils se placardent dans ton esprit alors que tu frôles un manteau en sortant du métro, quand l’odeur chimique d’un produit pour les vitres te ramène chez ta tante plus vite qu’un coup de pied au cul, ou si un maladroit fait tomber une petite cuillère par terre. Les rêves qui te restent en tête, sont des mots, que tu peines à dire tant ils ont une drôle de tête à l’air libre. (J’ai lu quelque part que c’était ainsi qu’était apparu le premier poème. Un homme fait un rêve divin, un rêve de dieux, dont le souffle le traverse. Ils lui révèlent des choses d’une indicible beauté. Au matin, il tente de dire son rêve aux hommes qui comme lui ont dormi près du feu. Il n’y parvient pas. Son échec, c’est le poème.) Parfois même les rêves te disent des mots comme « Géranium violet, pièce bleue, ici… », des phrases entières : « Il est pour moi votre sang pur », des titres pour ce que tu es en train d’écrire, « tombé mort »… Les chansonnettes idiotes ou non qui surgissent sans crier « gare ! », sont aussi de grandes pourvoyeuses de mots et puisqu’ils se présentent, tout bonnement, ne va pas chercher midi à quatorze heures : tire dessus et laisse venir l’écheveau. Après, le temps… on ne sait pas combien de temps ça dure. Ni celui qui t’est imparti ni celui qu’il faut pour écrire ceci ou cela. La seule chose qui semble certaine, c’est le temps qu’il faudrait pour écrire ton chef-d’œuvre : tu ne l’as pas. Personne ne l’a d’ailleurs, c’est un trompe-l’œil pour se gaver de regrets et d’excuses, pour se misérabiliser à bloc. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est jamais fini, mais que tu décides d’arrêter parce que c’est prêt ou parce qu’un éditeur miséricordieux te tire ton manuscrit ou parce que tu as autre chose à écrire qui pousse très fort, comme si tu mettais des enfants au monde, des sextuplés, par exemple. Tu n’arrêtes pas parce que c’est parfait, ou parce que tu es arrivé au résultat que tu escomptais. Tu peux toujours escompter, c’est humain, mais c’est très con. Ça bouge tout le temps, ça ne devient pas ce que tu prévois et c’est heureux. Ça s’ouvre, alors ne referme pas en suivant pas à pas ton petit plan-plan. Comme les enfants, on te dit. Ah aussi, ça : relire. Si tu ne relis pas les livres des autres. Si tu es plutôt pistolet à un coup, ça s’annonce mal pour relire ta prose. Barthes dit (en synthèse) que relire c’est lire. En relisant, ça se démonte et ça se remonte, un mécano qui aurait rencontré un mikado. La relecture, c’est un rendez-vous : repasse-toi une chemise et réserve dans un endroit calme avec une bonne lumière. Quand il y a plus de 80 caractères par ligne, l’œil fatigue et s’agace. Tu y penserais si tu donnais ton manuscrit à lire, non ? Oui, on va dire que oui. Alors, ordonne bien la charité et prépare-toi une sortie papier aux petits oignons, parce que tu vas passer un long moment à la table des matières. Il sera bien temps d’envoyer balader les titres de chapitres et de sous-chapitres, ces étais moches, quand ça tiendra debout, quand tu commenceras à voir vraiment où ça t’emmène. Signe-toi un chéquier en blanc d’autorisations. Citer. Commenter. Retourner. Couper. Récupérer. Recycler. Changer la destination de la page, comme quand tu achètes une usine pour en faire une maison. Ce récit essentiel, tellement intime, qui met en scène des tas de ressemblances à des situations et à des personnes existantes au point que tu trembles à l’idée que ta tata, que tu vois à chaque mort d’évêque, tombe dessus en cherchant une recette de dinde aux marrons sur 750 grammes… qui pourrait s’offusquer que ce ne soit plus toi, mais Ulysse, voire Paulette qui le vive ou le dise ou le rêve ? Et puis, s’il était besoin de la littérature pour s’empailler en famille à Noël, ce serait un moindre mal, non ? Ton polar est devenu une histoire d’amour ? Ta SF, un pamphlet politique ? Tu ne peux connaître ce que tu veux dire qu’à postériori. Ne laisse pas tes fictions rétrécir au lavage. Ne les ébouillante pas, ne les inquisitionne pas, ne les lave pas à l’acide parce qu’elles te scandalisent. Tu devrais tuer une poule noire à chaque grosse lune pour que cela advienne : la phrase que tu ne reconnais pas dans ton texte, l’histoire sans intérêt que tu ne peux pas t’empêcher de prolonger pour voir jusqu’où elle va, le genre qui contredit ouvertement tout ce qui t’est cher…

Parfois on apprend trop tard. On n’est pas prévenu. Le gros Brahms, sortant de la gare sous la pluie battante, courant tant que faire se peut jusqu’au cimetière, arrivé trop tard, chope la mort. Ça reste raisonnable. Trop tard pour l’enterrement dans les limites de l’acceptable. Et puis amende honorable : Brahms emboîte le pas de Clara quelques mois plus tard. Mais là, dans le cas qui nous intéresse, on sait vaguement la mort. Quand on te demande, tu dis, oui, je n’en ai plus de ce côté-là. Mais depuis quand ? Vague. Après lui. Mais pas tout de suite. Quelques années après, mais on est encore trop jeune pour savoir quand. Est-ce qu’on nous l’a dit, seulement ? Oui. Forcément. Vaguement ? Et beaucoup plus tard, tu comprends qu’elle est morte pendant ta vie d’adulte et que tu n’as pas voulu le savoir. Mais beaucoup, beaucoup plus tard.

Embrasure de porte. Grande arrivée de lumière jaune. Dos de l’enfant à fossettes, l’enfant a fossettes, l’enfant à faux sept (les jumeaux de Corinne qui marchaient dès leur septième mois, la double laisse au poignet), l’enfant à fosse, certes (petit ange de pierre sous la neige) … Sept mois. Cette fois. C’était moi ? Une phrase se dit. De la lumière là aussi. Le chiffre 7 explicite.

Enfin je viens à vous et je me vois réduit   

À chercher dans vos yeux une mort qui me fuit    

Réservoir à phrases d’autres, les lister reviendrait à répéter l’énoncé de mon existence, son contrat, son mode d’emploi, jusqu’à ce que mort s’ensuive, car cinquante autres années ne me seront pas données.

#36 

L’aube vaut la peine. Le silence. Rester au lit lire. Emmerder le monde. Dans la ruelle, ils attendent leur tour. L’aube est clarté d’esprit. L’aube tombe à pic pour Deux Scènes ou Narration de Gertrude Stein. Il y a tout le temps. Un chapitre de Wasjbrot. Ou Kabassova. Penser à Osmin. Est-ce qu’il voyage ? Est-ce qu’il hiberne au bord d’un lac ? Un morceau de spectacle s’est écrit tout seul pendant la nuit. Un fil qui dépasse. C’est tout ce qu’il en reste. C’est bien suffisant. C’est voyant. Pas besoin de noter. Mais besoin d’écrire. Le Journal d’un mot. Toujours déjà en retard. Pas encore sorti les trois premières années que la quatrième s’achève. Penser à Tolkien. Écrire pour se ramifier. Perdre de vue toute publication… Le mot de la semaine, dans les yeux. Dans le blanc de l’œil. Rien ne vient. Laisser écrire. Si une idée revient, s’en méfier. C’est une vieille idée, Dieu sait où elle était allé traîner. Possiblement périmée. Les vieilles idées ont un papier dans leur portefeuille. Elles exigent de ne pas être réanimées. Rêver à tenir un journal de 480 caractères espaces compris. Un journal trop facile. Journal de ce qui passe. S’en saisir avec une grosse patte. Le coller dans le carnet avec de la glu qui déborde. Onomatopée. Il n’y a plus de temps. L’entrée du Journal d’un mot m’a embarquée trop loin. Plus de force pour le retour. Encore une fois. Nostalgie du papier par-là dessus. Choisis ton camp, camarade. Ramification ou publication. Lâcher la guide. Se raisonner. Renoncer à la charmante compagnie d’écrire. Sortir du lit. Emporter un livre au cas où.

Un moment du Soulier de Satin presse à la porte, alors qu’il est apparemment question de Cléopâtre… la lettre du texte ne reviendra pas, je l’espère pourtant, tout en le résumant son esprit, semblable au baron de Münchausen se sauvant lui-même de la noyade en se tirant des eaux par les cheveux. Cependant, je fouille les tréfonds — et pas les confins : c’est une descente le long d’un fil à plomb, pas une chasse à courre —. J’en remonte une vieille godasse de souvenir : la scène jouée par un couple «ville et scène». Mauvais. Mais cette fois-ci, je suis assise entre eux, légèrement en retrait, et plus dans le public.

Pour rien au monde, il ne manquerait le réveillon de sa tante. La cuisine est toute petite. On l’attend, on le chérit, là-bas, avec toute la cousinade. On mange, qu’est-ce qu’on mange ! Qu’est-ce qu’on mange ? Qu’est-ce qu’on mange cette année quand il n’en finira pas d’arriver ? Si pour rien au monde, vraiment, alors par quel motif supernaturel est-il retenu loin de la tablée ? Et faut-il seulement une raison pour échouer dans ses habitudes ? Dans ses projets ? Si c’était pour rien ?

Une fois que s’est assis, même sur un vélo, une grande inspiration, comme pour une apnée de petit bain sur les mondes sous-marins carrelés de bleu et peuplés d’êtres pâles aux yeux fixement ouverts, une apnée pour voir, ça durera ce que ça durera, une pièce lancée en l’air, ne sait quand retombera.

La bouche d’enfer de la sortie du parking est bouchée à présent. On doit sortir ailleurs… Le quartier a été si longtemps désagréable et absurde — que sa joliesse d’à présent la met mal à l’aise. Quand le grand hôtel international surgit dans le coin de son œil, la peine revient, manière d’un soulagement. Elle croit un instant que nous étions là pour l’annonce de ma fin de partie. Elle était assise seule, là-bas, au milieu des oranges pressées. J’avais appelé pour m’excuser de mon retard, d’abord, puis de mon absence.

Je veux, non je voudrais, je souhaiterais comme la douzième fée, la dernière à passer, oui, je souhaite, qu’une bonne fois pour toutes, on arrête de répéter le mot « bienveillance ». Répéter les mots à tout bout de chant les vide de leurs sens, les vide du dedans comme les instruments à vent, la salive les use, les creuse et ils ne sonnent plus bons à rien. Alors, arrêtez de répéter les mots, à part « répéter » qui est fait pour être répété, parce que c’est du costaud avec ses trois é identiques et ses consonnes qui pétaradent, mais « bienveillance » ? « Bienveillance » ne tiendra pas le coup, c’est moi qui vous le dis

Le jeudi, les mots croisés sont plus difficiles. Mais là, c’était un jour facile. Il n’y avait rien à voir sur la photo, un vieux duvet carbonisé, sur un bout de trottoir, à côté du mot « hypothermie ». Mais ce sont plutôt les mots croisés qui m’intéressent. Peine perdue : je répondais à toutes les définitions par « duvet ». Il y avait ce gars qui vivait dans le renfoncement de l’ancienne pâtisserie, sous le cygne qui ornait encore la devanture. Qui crame un mec déjà à terre ? Ou son maigre bien ?

Laisser traîner ce bras était un mauvais calcul. Traîner est peut-être un peu excessif : il est resté au sol quelques instants à peine avant d’être ramassé. Plus exactement, il s’est à peine écoulé une trentaine de secondes entre le moment où j’ai aperçu le bras et celui où le type en combinaison intégrale l’a ramassé. Il a fait ça assez négligemment et c’est probablement ça, le plus regrettable dans cette affaire. Tandis que les possibilités offertes par ce membre abandonné sur le trottoir se multipliaient dans ma tête à une vitesse faramineuse, il se contentait de le ramasser comme n’importe quel autre machin que les gens laissent devant les conteneurs, avant de le balancer dans la broyeuse du camion poubelle.

Sur un cargo. Trois mois. Tu peins, j’écris, nous lisons. J’y pense sur mon vélo, j’y pense en annulant des rendez-vous pour pouvoir travailler à d’autres rendez-vous, mais toujours l’instant d’écrire, cette carotte dont je suis l’âne, se dérobe et comme l’âne que je suis, je m’en étonne. Romain m’envoie des mosaïques de Barcelone, et je me demande quand je reviendrai au Marché des Vacillantes, et comme je suis un âne je suis aussi Osmin, qui ne retrouve plus jamais le chemin vers cet étrange lieu d’échange où tout troc est possible — la fiction, oui, en voilà une définition —. Il n’est pas certain qu’il ait existé ce marché, il s’est monté la tête d’une histoire qu’on lui aura racontée, une histoire sortie d’une bouteille comme une exhalaison empoisonneuse. Plus les commandes d’écritures s’amoncellent sur mon bureau, mieux j’entends l’appel du Marché des Vacillantes. J’y laisse une oreille, tant pis et d’ailleurs, ces jours subsahariens, ces jours de marché du travail, qui occupent mes aubes et me laissent idiote de fatigue avant la tombée du jour, sont-ils si différents de l’apparition fulgurante et nocturne du Marché des Vacillantes ? Le pas lent et lourd d’Osmin est le mien bien davantage que la grâce qui fait un larron du Pacha Selim. Bientôt cinq ans que nous ne nous quittons plus, qu’ils surgissent dans la réalité la plus quotidienne. Une silhouette encapuchonnée dans la rue, cette vieille main qui choisit patiemment un fruit au supermarché des pauvres, une bague sauvage sur un doigt citadin, le poids de mon propre pas, mon bonnet d’âne.

Elle est enfin parvenue à manger un sandwich au saucisson. L’autre n’osait pas : le choc des cultures, on n’est pas arrivé là pour réunir en un grand tout ce matin de la majorité à l’issue d’une nuit de fête sur quatre étages de bric et de broc donnant sur la montagne, et le quotidien bien bordé de la grande école à architecture classée. Elle mâche vigoureusement : du gros pain, une épaisse couche de beurre et des rondelles de saucisson d’un demi-centimètre de haut. L’autre guette la fissure, le tremblement, le détail annonciateur du séisme qui gronde. Rien. Mais tous les éléments ne sont pas réunis. Elle boit une rasade de thé pour faire passer la bouchée. Il manque un verre de rouge, et il n’est pas 7h du matin. Mais, tout de même, elle est culottée de jouer ainsi avec l’espace-temps.

Son absence, annoncée au milieu d’autres — malades, occupés ailleurs… — peine davantage. Je le note parce que ça me surprend. Aucune raison pour cette peine, qui à la fin du jour reste en surbrillance. Mais en filigrane apparaît un autre manque, partenaire au long cours, le manque de pierre. Parfois il se manifeste dans des rêves de balcon de granit, de balustrades en calcaire, de cailloux posés au sol suivant un dessin qui demeure comme son dessein, un mystère. D’autre fois, il se signale par le prénom, jeu d’anthroponymie, et j’attache une importance qui m’embarrasse à ceux qui, comme lui, le portent. Cela me surprend à chaque fois. C’est ainsi que depuis le fond du temps, il se rappelle à ma mémoire.

Un papillon — un gros papillon noir — à moteur — lourd comme un bourdon — un B52 — l’avion, pas le chignon — pas chouiner, non plus — encaisser, le ventre, encaisse depuis toujours ? — en fait des caisses de pire empire — ça va pas mieux ? — Tu as encore mal ? — parfois, plutôt la plomberie — des vieux radiateurs en fonte sur trois étages — un immeuble vide — énorme réverbération — tout le monde entend — mais tout le monde a un ventre — tout le monde connait au moins un ventre autre — accueillant et glougloutant — et chaud et lourd comme un vieux radiateur en fonte — la bouillotte, bien sûr ça aide — rien que le nom aide à présent — je te prépare une bouillotte ?

J’avais oublié qu’on pouvait à ce point être assis. Il n’y a plus de différence entre mon corps posé-là sur ce banc, à cette tribune, dans ce gymnase où ça s’affaire et crie de tous côtés et mon vieux pardessus militaire, carapace si roide qu’elle tient presque assise à mes côtés, regardant le match à ma place. Il faudra aller s’asseoir dans un calme pareil, quelque part — à la mer du Nord ? — pour deviner comment écrire… l’histoire ? La vie ? Les racines ? La fatigue ? L’impensable tumulte courageux derrière les uniformes de ceux et de celles qui par deux fois m’ont rappelé, ces derniers jours, ce qu’être assis peut signifier. Autour de moi ça joue, ça hurle, ça scande, c’est beau à voir, cet entrain, les ruses des joueuses, leur dépit au point perdu, la simplicité de leur corps pour quelques heures dérobées à la chirurgie modificatrice de l’adolescence… je vais partir pour la mer. Trois jours. Avec mon seul pardessus pour compagnie.

Il fallait prévoir du thé et du café, arriver tôt pour aménager la salle, mettre les petites chaises lourdes en cercle, quelque chose d’enfantin et d’amical avec leur petite taille et leur assise de couleur jaune, verte, rouge sombre… C’était l’occasion de rencontrer une drôle de paire de loustics bien intentionnés, qui veillent au bon ordre des lieux, en défaisant éventuellement ce qui venait d’être fait, l’attribuant à un désordre de la veille. Tout ça, rien que ça pour bien recevoir ces visites attendues, les corps fatigués par le réveil à 4h, par le travail longtemps avant le lever du jour. Oublier le sucre, un manque d’attention. Impardonnable. Courir le chercher en dépit des protestations, une réparation dont les fils se verront toujours.

On se demande ce qui réunit ces deux-là. Pas l’âge en tous cas, ni la nationalité apparemment, encore moins la fonction. Cependant, elle est arrivée jusqu’à la table haute où il reste accoudé tout en l’écoutant. L’échange est bref. Il la regarde de tous ses yeux, le mort et l’autre. Il hausse très légèrement les épaules — cela va de soi ce qu’elle est venue demander de si loin — et acquiesce d’un petit hochement de la tête. Elle va repartir ayant obtenu satisfaction et à regret, pourtant. Il va jusqu’au comptoir. Il ne sort pas d’argent. Il n’attend pas. Ce sont ses prérogatives de son ancienne d’employé au ménage. Il rapporte deux gobelets de café avec sa démarche chaloupée. Elle lui sourit. Ils boivent le même café, sans plus rien dire.

Elle est allée directement à lui. Elle lui avait fait signe de loin. Un signe de la tête. Dès qu’il lui répondu, avec son sourire d’ailleurs, elle a traversé la salle blanche et froide, pour le rejoindre à sa table. Les corps qui traînent toujours là, en début de matinée, elle les a facilement évités : ils sont amortis, lents, endormis encore pour certain et elle, vive, impatiente. Voilà des mois qu’elle veut lui faire sa demande et le moment est venu. Il se tient appuyé sur le mange-debout, appuyé sur ses avant-bras et ses deux mains se réchauffent autour du gobelet de café. Elle lui demande de la rejoindre un autre matin. Elle lui dit que tout est arrangé, qu’il n’aura pas à travailler pendant ces deux heures-là. Il sourit.

Installer des bancs où l’on puisse s’installer sans avoir l’impression d’être dans un avion, dans un train, des bancs où s’étaler, des bancs baptisés de noms noirs, au moins ça, des bans de bancs dans une même direction, des bandes de bancs bancals, chahutés par la vie, pour apprendre l’équilibre aux enfants courts sur pattes dans les parcs des villes.

Un t-shirt rose informe et si fin qu’il laisse voir le détail de ses seins. Un bas de jogging gris trop court. Un caban par là-dessus qu’il ôte en entrant, quand les autres ne savent plus quel stratagème inventer d’écharpes à carreaux, de bonnets de laine, de petites doudounes superposées à des chemises respectables, de gros cols roulés, de jacquard de station de ski, de manteaux boutonnés jusqu’en haut, pour jouer de quelques degrés la salle mal chauffée.

Le corps, je n’avais jamais pensé à ça : qu’est-ce qu’il devient ? Qu’est-ce qu’on en fait ? Comment faire pour évacuer le corps ? Même au corps, au corps tout simplement, je n’avais jamais pensé, ni au désordre que ça produit, un corps, comme ça, mort, au milieu du plateau. Eh ben, crois-moi si tu veux, ils l’avaient laissé sur la plage arrière ! On nous dit de fuir dans ces cas-là et vous parlez d’amour, de l’amour… Vous voulez de l’aide pour enjamber ces fauteuils ? Une larme furtive… Jeudi 9h45, c'est un décalage horaire. Chercher à se parler est en soi déjà une façon de se parler.

Pousser la porte d’un magasin. Impossible de se rappeler quand, quand la dernière fois, comme ça, pour rien, pour voir, il y avait des lions dans la vitrine et dedans des lions aussi, imprimés sur des écharpes, des léopards sur des boîtes, il y avait eu un moment, des moments où, comme ça, entrer et acheter une écharpe, oui, ça se faisait et d’autres choses pendant qu’on y était, de petits cadeaux pour plus tard, pour des amies qu’on ne verrait pas avant des mois, des petits bracelets pour les filles, mais d’abord une écharpe, une étole même, après l’avoir vu, lui, lui avoir parlé longtemps, une étole ist toll, une étoile de près pour entretenir la lumière vive et joyeuse des rencontres… pousser la porte de ce magasin, la barre verticale en laiton, l’entrave du diable, c’est lourd et lointain, rentrer d’un long voyage, d’un long sommeil, pousser la porte d’une des boutiques éphémères du marché des vacillantes, qu’est-ce qu’on trouve ici ? Qu’est-ce qu’on cherche ?

Elle est tombée debout. Ses vieux genoux encaissent mal la cascade, mais tiennent jusqu’à preuve du contraire. Les marches, raides déjà en temps ordinaire, deviennent traîtresses avec la pluie, les nuages noirs assombrissent encore le bas de l’escalier. La cataracte n’aide pas non plus. Bien avant d’en arriver là, elle sait qu’elle va tomber aujourd’hui. C’est un rendez-vous sans autre surprise que l’attente. Elle va tomber, elle peur bien sûr, mais elle est également curieuse, elle ne le dirait pas à tout le monde, curieuse de la douleur. Combien ? Comment ? Elle est tombée debout et tout vibre encore autour d’elle pendant quelques instants. Elle est debout, mais la chute n’est pas encore tout à fait finie, comme au cinéma, ces films où quelque chose apparaît à la fin du générique, alors on reste, on attend, debout, comme elle, en manteau avec son sac de course à la main. Finalement, rien. Rien cette fois-ci.

Il est l’heure. Ça commence toujours ainsi, par une convocation. Un bristol de la Reine de Cœur qui réduit à l’état de lapin blanc : quasiment toujours impossible de répondre dans la seconde, dans la minute et alors les pénalités tombent à rythme régulier, comme les pièces dans les cabines téléphoniques scandant par leur chute la conversation amoureuse de longue distance, l’incapacité à dire ce qui pourtant tenait le cœur la veille, le jour même, une heure plus tôt, ou il y a un quart d’heure quand il a fallu arrêter le vélo, interrompre la course, tant pressait l’aveu, la déclaration, le mot exact. Loin de toute notation se tisse un maillage serré de mots exacts, qui se répondent si facilement qu’il est facile de croire qu’ils attendront le papier. C’est un bain de source chaude, dans un petit creux de volcan. Les unités tombent au fond, je ne sais toujours pas renoncer à l’élaboration de ces métastructures de vent, l’eau est douce, les nuages racontent tant d’histoires, je devrais être attablée, noter, le retard ne sera jamais rattrapé… le lapin blanc passe tout à son agitation, je le regarde passer. Il n’y a rien d’autre à écrire que la perte de ces paroles, ce retard définitif : la poésie est le rêve, le poème, la tentative de l'énoncer en pleine lumière.

C’est dans la petite tête que ça écrit quand les cris cessent de crier sans arrêt dehors, mais aussi quand se tait la voix qui lit, qui en litanie dit et redit « Tu n’es pas là, ce n’est pas en train d’arriver, c’est comme les couleurs, toi, bleu tu vois, mais les autres pas le même, peut-être vert même, ou canard et pas si vif dans l’œil, bleu qui dort et méfie-t’en du taon aux grosses piqûres en bord de rivière où l’eau dore et t’hypnotise, boa autour de ton cou qui boit une gorgée d’oubli dans la lumière qui joue et peint sur ton visage d’indien le vrai camouflage, tu n’es pas là, rassure-toi, ce n’est pas en train d’arriver… » La voix qui lit appelle d’ailleurs et ailleurs, on lui répond, des petits personnages, grognons du peu de cas qu’on fait d’eux s’échappent des contes et des tapisseries, des ombres des sapins sur le sol en bois cru de la terrasse où pendent les grands draps entre tentes et cinémas et là, oui, là avec une croix, autre chose se raconte qui déjà s’écrit.   Sur un fond blanc de gaufrette, des courbes et des volutes bleues aux dentelures vénéneuses. Dans la fièvre, les longues heures alitées font voir des yeux étranges, et des profils narquois et des empourprements bleus toujours, bleus comme les ombres de la neige qui attend patiemment dehors que la maladie s’écoule par le nez. Goutte à goutte dans la faïence du lavabo et du bidet aux robinets semblables, métalliques, difficiles pour les petites mains pareillement gauches, mais capables déjà de tenir un stylo. Bille ? Plume ? Feutre ? Rien, aucun. Le cahier disparaît de la table qui n’existait pas, à peine un large et bas rebord de fenêtre qui s’enjambe comme de rien vers la terrasse où le linge de l’hôtel obstruerait la vue, n’était le vent qui soulève les draps un instant et la jupe de Maryline sur le petit classeur aux anneaux durs et pinçants pour les doigts maladroits. L’obturateur de la mémoire borde de noir le hublot du scaphandrier descendu aux profondeurs pour chercher vainement la première ligne, de la première page du premier texte et trouver, trouver, sans cesse tout autre chose. Il n’y a qu’une seule ligne c’est celle qui s’écrit là — la voyez-vous ? —, c’est le narguilé qui puise à la surface de cet instant l’air qui lui parvient tout en bas et pour voir quoi ? La cuisine à l’étage du dessous cuisinait à plein régime et à la « 3 » plus furieusement encore sans cahier, sans plume, ni bille, ni feutre, dans la petite tête aux mains gauches ça raconte des histoires, des histoires, des histoires.

Pendant que je passe la frontière, que je passe en vitesse, puisqu’il n’y a plus ici qu’une ligne sur une carte routière qui peine à se matérialiser sur l’asphalte, toutes les autres me font de l’œil : je pourrais tout aussi bien traverser la Scandia bulgaro-turque dans l’incertitude d’être trahie ou tuée par mon guide, poireauter des heures à la douane Pendant que je passe la frontière, que je passe en vitesse, puisqu’il n’y a plus ici qu’une ligne sur une carte routière qui peine à se matérialiser sur l’asphalte, toutes les autres me font de l’œil : je pourrais tout aussi bien traverser la Scandia bulgaro-turque dans l’incertitude d’être trahie ou tuée par mon guide, poireauter des heures à la douane libanaise en espérant que mon ambassade va pouvoir m’expliquer pourquoi je suis fichée S, m’endormir sur un banc de métal dans la zone internationale de l’aéroport de Moscou entre deux rondes de chiens, jouer au ballon-pied avec les gosses des breaks surchargés de malles, de cages, de filets, aux portes de la Serbie, dans la fumée des barbecues improvisés pour tuer le temps suspendu, ne plus jamais revoir la couleur de mon passeport embarqué dans la pile multicolore du contrôle à l’aube du Belgrade-Sofia, à moins que je ne l’aie déjà déchiré dix ans plus tôt au bord de la frontière atlantique, jeté dans les toilettes d’un hôtel bien tenu de Porto, tiré la chasse et dès lors, qu’importe le devenir de tous les faux qui lui auront succédé ? Ce n’est plus jamais moi, jamais mon nom, qui voyage, quitte, part, abandonne.

Tu vas vouloir regarder, traîner, t’arrêter même. C’est pourtant juste à côté, c’est toujours l’Europe, tu penseras « ça va passer crème, comme une ombre beige sur un mur blanc » et puis tu atterriras et tu seras là comme un gosse, avec ton regard qui tape tous les coins du flipper, même dans la forme des nuages tu trouves des différences, et le vieux tram, qui avance avec la grâce d’une tronçonneuse de métal boiteuse, où on te demande de payer pour ton sac, cette façon que les gens ont de ne pas s’excuser quand ils se frôlent, quand ils se heurtent, de ne même pas faire attention — tout le contraire de la banlieue, tu vois, des ghettos, où on essaie d’étouffer dans l’œuf le moindre embryon de conflit —, là-bas, tout a déjà été étouffé, enfoui profond comme les guérites en sous-sol avec les clopeurs accroupis sur le trottoir pour y acheter une cartouche ou une bouteille par le vasistas. S’attarder c’est pour les attardés. Toi, tu traces, tu es de là où tu es, profite d’être un mâle caucasien et disparais dans ton désintérêt pour ce qui t’entoure.

La cicatrice sur le nez, en demi-lune sur le bout du nez, son arrondi si parfait, les mauvaises langues prétendaient que c’était là le résultat d’un méchant coup de rasoir, qu’elle avait été assez bête pour vouloir se raser le visage (la moustache ? Des poils drus de sorcière sur le nez ? Les sourcils pour ne plus laisser qu’un trait dessiné par ses soins ? Quand on ne sait pas se servir d’un rasoir, qu’en est-il d’un crayon ? …) | Les cheveux courts, bouclés et gris. Jamais autrement, mais elle avait bien dû être apprêtée, permanentée, peroxydée, de son époque, quoi ! Si peu de souvenirs quand pas de photo pour faire croire le contraire, pour flatter notre mémoire, la caresser dans le sens du poil jusqu’à ce qu’elle donne, coup de tête ou longue griffure, la suite du peu qui se voit | Les yeux noirs, les rides ingrates, burinées, des sillons noirs de la cendre de toutes ces cigarettes allumées bout à bout | Les longs lobes, allongés des boucles lourdes. Cette peau de son visage, douce à force de coups |

Je l’ai dit à ma cousine : tu as vu ? Elle a changé son prénom quand elle s’est mariée, l’a changé pour «Annie», de sorte qu’il rime — et richement encore — avec son nouveau nom, Cordoliani. Ma cousine a ouvert de grands yeux. Et c’est là qu’intervient le prestige, dans le tour de magie. Le tour consiste par exemple à faire disparaître un objet — dans le cas du prénom à l’intérieur du nom, l’objet qui disparaît c’est le voile qu’on avait devant les yeux, ou plutôt sur les oreilles et qui nous a empêché de savoir qu’on entendait cette rime pendant des années. Bon, le tour est joué. Le prestige c’est le moment où ce qui a disparu réapparaît — souvent ailleurs, dans la poche de quelqu’un qui assis trois tables plus loin ou juste derrière l’oreille d’un enfant —. Alors j’ai dit à ma cousine : regarde ! Son vrai prénom, celui qu’on lui avait donné à la naissance (Ida), il s’inscrivait au cœur de son nom de jeune fille (Vidale).

… regarder à travers la fenêtre fermée, là, tout près, dans l’unique allée du jardinet qui bordait de briques et de faïences en demi-lunes ses plates-bandes de pensées : des pensées cueillies, semblait-il, dans ces ciels trop beaux, ces ciels versicolores et comme reflétés des vitraux de l’église qu’on voyait parfois entre les toits du village, ciels tristes qui apparaissaient avant les orages, ou après, trop tard, quand la journée allait finir. Les pensées ont le cœur noir. Les pensées sont les fleurs d’un mal lointain et puissant, comme le thé, infusant le sacré dans leurs robes de fêtes épiscopales, velours de violet profond, jaune de dimanches jamais ordinaires, rouge intérieur du calice. Les pensées sont fragiles, délicates et raffinées, bien téméraire pourtant celui qui les diminue en fleurette, même dans le secret d’un mot d’esprit, d’un moment d’ennui à ras bord de la fenêtre.Les pensées ne sont pas mignonnes ni jolies, non plus que les ciels qui s’empressent au-devant d’elles, avec ou sans précipitation. Car il faut voir ce cortège indénombrable où les créatures célestes, en âge d’être mariées au pays des contes, se chipent la place d’un souffle, brisent les rangs au moindre coup de vent, se coudoient brutalement jusqu’à ce qu’une pique de la longue aiguille de l’horloge vénérable les perce à jour et les dégonfle comme une voile, dont l’esquif s’esquive sans qu’on ne puisse jamais en connaître le nom. C’est que le chambellan commis à l’office des annonces manque toujours, en vrai lapin blanc, ou, s’il est apparu en oracle dans une autre fenêtre, il demeure dans l’erreur ou l’approximation qui sent pauvrement son charlatan. Seules leurs vêtures entrevues ou contemplées devant les pensées en majesté laissent deviner le rang de ces beautés en l’air : finesse des étoffes, façons des dentelles, subtilité des bains dont la nacre flatte les fleurs, luxe des brocards de la fin du jour, empesé des grands deuils nocturnes et souplesse des demis, juponnés nouvellement de lunes gibbeuses, échappées par miracle à la censure des rideaux épais, recouvrant pour la nuit comme un mouchoir de magicien ce défilé intangible… afin seulement de le poursuivre en rêve demi-éveillé grâce à l’entremise d’une marquise qui, quelque part en ville, attend au seuil du sommeil pour tirer un trait révérencieux et fantasque entre l’air qu’on respire et celui où l’on vole.Au-delà d’étiques antennes à qui, hier encore, on pouvait demander la lune sur pied en gros plan, mais dont la vanité rabattue sert à présent de perchoir aux corbeaux, plus malins que les plus diaboliques faiseurs d’images fausses, au-delà des cheminées qui entretiennent un commerce obstiné de fumée avec l’air froid, prétendant vendre des nuages au ciel comme d’autres du sable au désert, en dessous pourtant des calligraphies blanches des longs courriers, c’est à dire exactement entre les deux, vont leur train, volant tout leur saoul, de minces coursiers d’un gris si clair qu’il les confond avec l’horizon du petit matin, fiancés à leur mission d’une bague discrète où s’insère, fine comme l’air, la feuille qui enserre le message. C’est ce rouleau infime qui les a mis en marche, qui les a mis en vol, Golems duveteux à l’œil rond, anodins jusqu’à disparaitre dans le paysage citadin, cette toile peinte d’illusions d’optique. Et on s’étonne, trop occupés à regarder les pieds, les devantures, la hauteur d’homme, on s’étonne au mieux des ruches sur les toits installées, mais pas des pigeonniers. (J’insèrerais ici un des tutos inquiets de Sasha sur la communication codée.) Pas des pigeonniers, dites-vous ? La bibliothécaire s’étonne que je les aie remarqués. Comment lui avouer sans créer une gêne que je consacre rituellement une de ces journées à marcher la tête au ciel ? Modestement, je baisse les yeux vers la tasse qu’elle ressert, fine porcelaine, fleurs et oiseaux me replongent dans ses pensées. Ami je vous écris du fond d’une cantine. Le vent crie et le ciel a sa couleur turquine. Il est bleu mais hostile. Il se fait plus d’un an que vous n’écrivez plus de lettres maintenant…Et ici d’autres nouvelles de l’absence de nouvelles : Souhaitant m’égaler à vos héros qui meurent. Je conduis conducteur les canons qui demeurent : Quatre-vingt-dix soixante-quinze et cent-vingt long, mes chevaux argentins volent tel l’aquilon…

Dormi la tête dans le feu. Un clin d’œil, la lune au zénith, vaporeuse dans le cadre bien net du velux.<br><em>un autre genre de plaisir que je trouve à ne sortir qu’à la nuit, à suivre au clair de lune ces chemins où je jouais jadis au soleil ; et la chambre où je me serai endormi au lieu de m’habiller pour le dîner, de loin je l’aperçois, quand nous rentrons, traversée par les feux de la lampe, seul phare dans la nuit. À quoi bon la lune après Proust ?Rachel avait un de ces visages que l’éloignement … dessine et qui, vus de près, retombent en poussière. Placé à côté d’elle, on ne voyait qu’une nébuleuse, une voie lactée de taches de rousseur, de tout petits boutons, rien d’autre. À une distance convenable, tout cela cessait d’être visible et, des joues effacées, résorbées, se levait, comme un croissant de lune, un nez si fin, si pur, qu’on aurait aimé être l’objet de l’attention de Rachel, la revoir autant qu’on aurait voulu, la posséder auprès de soi, si jamais on ne l’avait vue autrement et de près. Proust, la lune et l’actrice, toute une ronde de comparaisons merveilleuses. Impossible de retrouver exactement celle de où la lune fuit la coulisse. Rendormie. Par terre, contre un mur beige et rêche, des cartes roulées. Regard vaguement en plongé là-dessus, l’intérieur ocre d’une d’entre elles. Sinon rien. La nuit, je mens. Beaucoup plus tard, levée, habillée, en compagnie, toujours endormie. Impossible de s’arracher au feu, au bivouac du canapé. Des montagnes de questions. Tout parvient de loin. Loin derrière les murs-masques de Tristan Mat. Sur le sol, d’autres pas recouvrent les mes traces, les effacent, je les vois, estompées, poussière balayée par ces passages renouvelés. Disparaître, le passé est passé… la lune blanche comme une nuée, furtive, sans éclat, comme une actrice dont ce n’est pas l’heure de jouer et qui, de la salle, en toilette de ville, regarde un moment ses camarades, s’effaçant, ne voulant pas qu’on fasse attention à elle

Pour mémoire : De la Passante au Passant (Proust, Baudelaire, Levinas et la Réponse des Muses)

La gueule de la libraire encaissant mes huit euros pour l’Alphabet des Femmes de Gospodinov. Cette façon de ne pas sourire, de ne pas croiser mon regard, d’à peine desserrer les dents pour le protocole élémentaire — d’ailleurs pas bonjour. J’en ai lancé un à la cantonade en entrant, oui, comme dans une librairie de province et non dans le temple du livre à deux pas de La Sorbonne. Pas par provocation : la porte était ouverte, c’était un jour férié, il faisait beau, je ne viens jamais dans ce quartier, la dernière fois en avril, j’avais acheté La Lisière de Kassabova, parce que L’Écho du lac était indisponible, et puis trop cher encore. Une personne affable m’avait indiqué le rayon des Balkans, et son inutilité dans ma quête : elle écrit en anglais, elle est au rayon littérature anglaise. J’ai oublié ça et j’ai cherché à nouveau dans le mauvais rayon. Inévitablement, je n’y ai pas trouvé ce que je venais chercher, L’Écho du lac à nouveau. Et plus tard dans l’après-midi, j’ai écrit ces quelques lignes au sujet du lac de Saint-Bon, ce souvenir que j’avais évoqué le matin même avec une amie au café, un café, « La lumière », où j’avais lancé un bonjour à la cantonade en entrant, alors que j’y venais pour la première fois, mais là on m’avait répondu, et accueillie chaleureusement. Nous avons bu du thé et du café alternativement, et j’ai raconté la quête d’Ida, ma grand-mère disparue à plus d’un titre (morte, oui, mais où, enterrée où ? Mariée où ? Née où ? Épouse quoi si pas seulement Cordoliani ? Ou femme de qui à part femme de chambre… ?) dont je piste les traces : cette quête généalogique (ce jeu de nous) constitue la meilleure réponse que j’ai apportée à la douleur de mon genou, disparue elle aussi, depuis. Et par extension, des souvenirs de mon grand-père, que je ne cherchais pas, sont revenus sur le devant de la scène. Je ne les avais pas oubliés du tout, mais ils étaient relégués (dans un autre legs, donc), ils n’étaient en rien pertinents (et il faudrait l’écrire père-tinent, bien que je ne sache pas quoi faire de cette désinence, pour l’instant… tient, tenant, mais quoi ? La place, toute la place, du père qui fait faux-bon, sûrement et toujours cette hésitation sur l’orthographe de Saint-Bon ou Bond ? Bonté ou lien ? « Patience ! », je me souviens que c’était l’injonction familière de ce grand-père-tinent. Il lui en aura fallu pour refaire surface au lac. Patience… ! Comme dit Golaud, exaspéré par l’incapacité de son fils de sept ans à satisfaire sa curiosité maladive. Pourtant, à bien y réfléchir, mon grand-père disait davantage « Bonté divine » … Mais l’exaspération terrible, qui respire lourdement et roule des yeux, voilà leur point commun. Encore aujourd’hui, je me sens tout près de ce petit garçon qui la sent gronder comme l’orage.) —, pas bonjour, et à peine merci et pas au revoir non plus, il aurait fallu l’effacer, avec une grosse gomme à rature, la gueule de la libraire, posée derrière son comptoir snob, incapable de voir combien de planètes favorables s’alignent pour que je sorte avec l’Alphabet des Femmes sous mon bras et dans la tête, l’écho du lac.

Saint-Bon. Ou Bond ? La tarte aux myrtilles. Toujours vous deux. Pourquoi n’était-elle jamais de ce coup-là ? Un bord d’eau. Tu lèves à peine les yeux. La tarte. Ça devait être beau autour. Familier. La montagne. Le lac… Il aimait probablement ces moments, seul avec toi. Il était toujours gentil là-bas. La tarte et tout… Mais la terreur était incrustée en profondeur, comme la crasse des pubs pour la lessive. Tu ne levais pas les yeux. Le bas de son visage, la vilaine barbe grise, à peine te restent.

Il est tard quand je reçois son message. Il dîne seul, totalement seul, dans le restaurant d’un hôtel cinq étoiles à Ankara. Il est tard aussi à Ankara. Je le vois au milieu des tables montées et intactes. Toutes les lumières de la grande salle allumées. Elles tapent les verres alignés par trois devant les assiettes doublées — et aucune n’est celle où l’on mange : la plus petite, on la remplacera par celle qu’on aura préparée en cuisine, qui sort du four et qui brûle la main empressée qui apporte l’entrée. La plus grande demeure, elle n’est là que pour éviter le contact trop brutal avec la nappe. Elle est là pour les tâches, les miettes, les coulures, les arrêtes… — et les nappes aussi qui s’empilent, — le Bulgomme, qui amortit les bruits, qui amortit le bois sous son coude, et puis une sorte d’alèse, un petit linge qu’il ne ferait pas beau voir, alors seulement le damassé et puis encore une autre, en losange par-dessus — écrasées de blancheur.Nous avons créé un hôtel ensemble. Je fais ça tout le temps, il faut dire, je (re) crée des hôtels dans des spectacles, dans des textes. L’hôtel du Lys d'Or. Il était peuplé de fantômes, qui gardaient visibles l’impact de leur mort (le collier rouge des guillotinées, le trou noir à la tempe des joueurs de roulette…) Voilà qu’il y est au Lys d'Or. « Méfie-toi des glaces sans tain de la salle de bains ». Plombières, Ankara, quelle différence à partir d’une certaine heure ? D’un certain train ?Je le vois assis là-bas, mais tout de suite, je vois Osmin. Je l’installerai là-bas, à sa place. Je ne garderai rien de l’ami, que son sentiment de décalage, d’absurdité, d’une forme de solitude accompagnée de très loin… J’ouvre un chapitre. Je revois aussi la salle de restaurant à l’étage de l’Arbatskaia. 1990. Des mange-debout malgré le chic, à cause du chic ? Trop de lumière, là aussi. Et la salle de restaurant à l’hôtel de Londres d’une station balnéaire bulgare. En étage, également, déserte. Nos cuillères lourdes comme nos langues après cette interminable journée de répétitions en cinq langues. La veille, il y avait une tempête. Je rêve qu’on me maintient la tête dans les toilettes. Tu pointes : « Dans les étoiles ? Dans l’étoilette ? »

 

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Écrire l'été
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