Autopsie du domestique : contre-enquête 5, 6, 7 avril 2023
Au colloque de clôture de La Bonne cause, Pierre Girod me demande si je suis l’autrice ou l’éditrice du spectacle Autopsie du Domestique : contre-enquête. L’éditrice, sans aucun doute possible. C’est le spectacle le plus difficile que j’ai eu à écrire, à concevoir (je me suis entendue dire cela fréquemment à ce sujet. Avant je en me plaignais pas de la difficulté du travail. Mais peut-être n’est-ce pas une plainte, davantage une meilleure conscience de l’effort et du coût du geste qui en permet également la récidive, la persistance…). Les contributions pour la recherche ont été si nombreuses, si riches, comment les réunir ? Les faire apparaître, puisqu’un spectacle digne de ce nom ne peut se composer d’une litanie de citations. « Digne de ce nom », je pourrais résumer ça par : fait d’idées en opéra. Dans échange récent avec un élève du CNSMDP qui va signer sa première mise en scène, j’insiste : comment transformer tes concepts en idées en opéra ? Je parle pour moi. Pour moi d’abord. Les répétitions de l’Autopsie du domestique étaient très avancées. Je commençais à voir comment je m’y étais prise. Mais c’est en entendant la question de Pierre Girod (éditrice ou autrice ?) que j’ai connu le geste, le travail effectué depuis des mois. Un travail de conversion. La dramaturgie du spectacle est uniquement horaire : la trop longue journée de la bonne à tout faire. Un spectacle long, avec un entracte truqué, piano-bar, verre offert au public sur le plateau, reprise sans avertissement, faux final… Un spectacle long, mais rythmé par les coups de clochette, une clochette omniprésente, sur le pupitre du chef, dans les accessoires, sur la console lumière, dans le dos du public. Chaque interprète tenait alternativement le rôle d’un maître et d’un domestique, ce qui impliquait notamment de nombreux changements de costumes rapides, les tenant dans une course réglée et implacable. Le public aussi passait d’un rôle à l’autre. Et tout du long des passages dans les coursives et les coulisses à vues qui enserrent les gradins et la scène.
Hier, un auditeur libre me demande à la fin du cours : où avez-vous appris à faire ça ? C’est une jeune pragmatique et qui n’a pas peur du travail, un acteur converti au lyrique. Il voudrait un livre, une école, pas une histoire. J’ai appris ici et là, mais surtout au CNSM, dans ma classe, en mettant en pratique des règles essentielles transmises, majoritairement, par des professeurs étrangers (Stuart Seide, Leonid Kheifeitz, Mario Gonzales et Lukas Hemleb, dont j’ai été l’assistante). Elles pourraient tenir en une seule : ce qui se démonte se remonte. Pour quelqu’un d’aussi peu bricoleur que moi, c’est un comble. Mais oui, c’est juste, on ouvre et on regarde, on regarde et on voit, on a vu et on referme, on continue à voir. J’ai appris cela depuis ma classe, depuis ma place et sa question me remet au travail des Fées Fâchées : en laisser trace serait la moindre des politesses.
Dans le Journal d’un mot, me dit Peters, si l’un lasse, on peut sans état d’âme passer au suivant. Un drôle d’écho dans une considération sur mon cours au CNSMDP : sur une année de 36 semaines, je ne peux pas donner 36 bonnes leçons, mais une bonne année de leçons. Quelque chose se raconte d’un équilibre issu de la diversité, au sens premier de l’expression. Il en va ainsi dans les chœurs, où la richesse du son et du groupe est tributaire de forces diverses. D’excellents solfégistes, des voix liantes, des voix d’exception, de fines oreilles, toutes ces qualités réparties entre plusieurs personnes et non possédées par une seule, qu’on chercherait à cloner en 50 exemplaires.
Qu’est-ce qui tient de l’écriture pendant ces semaines de plateau, de salles obscures, de réglages lumière, de représentation ? Et pendant celles qui suivent, avec leur épuisement qui fait tourner la tête, petit vertige sans gravité, tout le contraire, léger, mais tenace, insistant sur l’obligation du repos ? Pas l’Atelier d’écriture, remis, comme la lecture des travaux en cours de François Bon sur Rabelais. des nouveaux cycles ne cours, je ne comprends rien, pas même où trouver leur explicitation. Heureusement, les visites de deux amis du Tiers Livre au spectacle font consister ce lien important. Et le retour de l’un d’entre eux trace un trait d’union entre le spectacle vivant et mon écriture de carnets, de livres, faisant tenir les deux dans un même geste avec une telle simplicité qu’il efface pour un long moment les regrets de la séparation, du retard, des délais (merci donc, Thibault Hingrai).Pas la correspondance non plus et vivement la reprise des échanges avec Will, dont je mesure la portée et l’énergique douceur depuis que je m’en prive. La Dose de poésie, insubmersible. Le carnet, irrégulier, mais constant — toujours cette difficulté d’accepter de faire bref, qui pourtant permettrait cette régularité quotidienne : des lignes de force apparaissent (le campus, bitume-plage, une manière de transcrire l’intime…), contrariant la brièveté, la spontanéité du procédé — . Non, ce qui s’écrit, sans mon concours au sortir de ces semaines qui ont beaucoup puisé, c’est l’atelier des élèves de l’an prochain ! Je n’y réfléchis pas, je prends sous la dictée, depuis le fond de mon lit : Ithaque/Quatre légendes circulent sur le retour d’Ulysse à Ithaque/Quatre légendes circulent sur Pénélope/Comme dans Les Contes d’Hoffmann : un prologue à figure de réalité, puis quatre histoires, variations, et un épilogue/Une scénographie de cordes et de voiles : marins et servantes pendues.
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