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ÉCRIRE L'HIVER XXV

Photo du rédacteur: Emmanuelle CordolianiEmmanuelle Cordoliani

Dernière mise à jour : 29 janv.



Premier journal de l’hiver, un mois après la date officielle du début des festivités… L’écriture s’est arrêtée, à deux reprises, créant un trou notable dans ce tissage serré et uni où je tiens les jours et les saisons depuis plusieurs années. La première interruption a eu lieu quand un de mes collaborateurs m’a demandé de modifier mon modus operandi. Depuis plus de deux ans, je réunis tout ce que j’écris dans Le Carnet des Jours suivants. Tout. C’est-à-dire, aussi, n’importe quoi. Et je le poste chaque jour sur Facebook, Instagram et sur le site de la compagnie. Je suis toujours heureuse des petits saluts qu’on me fait dans ces occasions, mais la raison première tient plutôt dans une forme d’humilité et de discipline. Forme qu’on pourra trouver dérisoire, contestable, étrange… Mais qui présente l’avantage de fonctionner. La vie est courte, il y a beaucoup à faire avec ce qui ne marche pas, je n’ai pas pour habitude de remettre en question le reste. Ceci dit, je n’aime pas dire non : j’ai donc essayé d’accéder à la demande qui m’était faite de ne plus poster, de garder de côté les écrits concernant le projet à venir. Le résultat ne s’est pas fait attendre : je n’ai plus rien écrit du tout pendant deux semaines. Ni pour ce fameux projet ni pour quoi que ce soit d’autre. Ce blocage m’a beaucoup intéressée. Je l’ai observé de près, puisque je ne voyais pas plus loin que le bout de mon nez. J’ai commencé par être assez grognon qu’on vienne mettre le nez dans mes écrits, ce qui est un paradoxe, compte tenu de la publicité que je leur donne, notamment dans ce journal, y compris en ce qui concerne les projets collaboratifs (les commandes, les livrets…). Il faut l’admettre : il y a en amont de cette exposition aux regards une solitude imprenable, non négociable. Les compositeurs avec lesquels je travaille sont toujours surpris de ma disponibilité pour leurs demandes de révisions, coupes, réécritures… Cela m’est possible parce qu’à un endroit, (dans cet amont) le texte a existé tel que je l’entendais. Cette étape et sa ratification par la publication de ce que je considère comme des brouillons, des textes de passage, des tentatives, n’est pas compressible. J’ai été vexée, ensuite, de réaliser que je ne pouvais pas faire autrement. J’avais prévu d’écrire pour ce projet depuis plusieurs semaines. J’avais préparé le terrain, en sorte de n’avoir rien d’autre à faire et de ne plus avoir de réservoir à poster. Bref, le terreau de contraintes indispensables à la production d’une œuvre quantifiée. Cette petite organisation s’étant cassé le nez, rien n’est venu à la place. Et pour cause : avoir réuni tout ce que j’écris au même endroit, dans la même veine d’eau, a fait disparaître l’idée de dispersion et l’angoisse qui l’accompagnait. Je n’ai pas l’intention d’y retourner voir.

Au bout de deux semaines, j’ai mis en place un programme de rééducation consistant en la description de toiles du Caravage extraites d’un très beau livre trouvé l’été dernier et dont les pages se déploient en grands formats. La machine s’est remise en route et à l’ouverture de l’année, le goût m’est venu de partir pour un mois de courts poèmes en traversant le givre du Jura. Les micropoèmes, c’est la base. En écrire un par jour, c’est le bûcher des vanités : rien ne me plaît, mais la régularité l’emporte et finira par porter des fruits. Pas forcément des framboises au beau milieu de l’hiver, mais des fruits de patience. Peu à peu, certains mots émergent qui invitent à une plus longue fréquentation, à d’autres développements… Et puis la grippe est arrivée, et tout ça n’a plus eu aucune espèce d’importance. Il n’a plus été question d’écrire, ni même de lire. Tout désir s’est absenté. Dans cette absence, il y a la promesse d’un retour. Aux beaux jours. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas fait si froid et si malade si longtemps. Chaque instant prend une tête d’expérience. Au hasard d’une fièvre, je suis tombée sur ces mots de Walser (traduction de Marion Graf) dans La Buveuse de larmes :

 

Mes morceaux de prose ne sont rien d’autre, à mon avis, que les fragments d’une longue histoire réaliste dépourvue d’action.

Ils m’ont permis de me rendormir et d’accepter encore mieux cet arrêt de jeu et ce jeu, lui-même, d’écrire.

Nous sommes loin des maladies de l’enfance (elles reviennent en force dans les pointes de fièvres avec leur charge nostalgique) et il n’est pas envisageable de rester couchée deux semaines. La cantate Nettoyer le Matin est arrivée en kit, un morceau après l’autre durant cet étrange janvier. Elle sera créée le 7 février à l’Opéra Comique, pas question d’en remettre les lectures. La mise en musique de mes textes est toujours une mise à distance. Si le compositeur a réussi à s’accommoder de ce que j’ai écrit, qui suis-je pour contester son autorité ? J’écoute cette cantate de petites choses, de bribes, de portraits esquissés et je m’aperçois combien le voisinage du travail sur Ithaque au printemps dernier a influencé son écriture concomitante. Je me souviens des bases du livret posées lors de la brève résidence au Leurre à Grandville, un an auparavant. Elles sont également étonnement présentes, solides, alors qu’elles tiennent en deux pages sur le cahier que j’avais emporté avec moi. Là-bas encore, il avait fallu accepter, accueillir ces lignes dérisoires, indigentes, faire l’épreuve de la foi dans leur devenir, leur appui. Un texte après l’autre, c’est immuablement cette partie qui se joue : je ne peux écrire que sur les mots qui me viennent. C’est la terre du jardin qui m’est donnée. Certaines plantes n’y pousseront jamais. Autant désherber, arroser, aérer le sol pour ne pas me perdre en vain regret.

 

Du grand froid j’attends Une épiphanie La montagne en moi Se fend d’un sourire

1 Comment


Jacques de Turenne
Jacques de Turenne
Jan 29

Tellement bien d'avoir ces petites nouvelles et ... encourageantes ces indications du patient jardinage au quotidien pour ne rien (ou moins) regretter. Merci ! Jacques

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